Si j'étais candidat : 7. Les secrétaires publics

Cet article fait partie d'une série où j'imagine être candidat à l'élection présidentielle française, et où je demande aux lecteurs de jouer le jeu. Pour des précisions sur la démarche et mes raisons, se reporter à l'article introductif de la série.

Au départ, mon n°7 aurait dû être la santé, mais avec la crise du covid-19, j'ai craint d'avoir l'air d'un inspecteur des travaux finis. On devine facilement ma position à partir d'autres articles : hôpital public gratuit payé directement par l'impôt, avec des moyens calibrés pour répondre aux besoins (je vais développer ce point plus bas sur un autre exemple).

Toutes ces dernières années, on a pu assister à la tendance de dématérialiser les démarches administratives et certains services publics : au lieu de se rendre aux guichets de l'institution pour faire les démarches avec l'aide d'un fonctionnaire, on remplit un formulaire sur le web. Ce n'est d'ailleurs que l'aboutissement d'une tendance qui est passée par bien des étapes, et qui a commencé quand on a jugé que les gens étaient en général assez éduqués pour remplir les formulaires eux-mêmes et les envoyer par la poste.

Cette tendance n'est pas mauvaise. Quand ça marche (et j'ai des plans pour assurer que l'informatique de l'état fonctionne correctement), ça nous apporte de la souplesse et du confort : faire les démarches quand nous le voulons plutôt qu'aux horaires d'ouverture des guichets, sans déplacement, avec un retour immédiat.

Mais la dématérialisation des démarches administratives a parfois deux conséquences dommageables qu'il faut s'efforcer d'éviter. D'une part, elle peut laisser derrière les gens qui auraient du mal à y accéder : manque de moyens informatiques, manque de familiarité avec l'outil, voire problèmes d'expression écrite. D'autre part, elle peut rendre les démarches inflexibles : pour empêcher quelque chose, il n'est plus besoin de l'interdire, il suffit de ne pas le prévoir dans le formulaire ; le stagiaire qui met le système en ligne a plus de pouvoir que le ministre qui le décide.

Je vais expliquer comment je compte continuer la dématérialisation des démarches administratives tout en évitant ces deux écueils.

Tout d'abord, tous les formulaires en ligne devront avoir, sur toutes leurs pages, bien visible, un bouton « je veux parler à quelqu'un ». Mais il faut le faire correctement.

En premier, il y a le moyen. Certains sont plus à l'aise à l'oral, certains à l'écrit. Les usagers peuvent avoir des contraintes auxquelles nous n'avons pas pensé. Donc l'administration doit être joignable par le plus de moyens possibles, dans la mesure du raisonnable : téléphone, SMS, courrier électronique, messagerie instantanée.

Ensuite, il y a l'attente. Ici, il s'agit d'avoir assez de répondants disponibles. La problématique est la même que dans d'autres domaines, en particulier la médecine d'urgence. Pour la gérer correctement, il faut faire des statistiques et se donner des objectifs précis. On va relever combien de temps chaque usager doit attendre que quelqu'un s'occupe de lui. Et on va fixer : on veut que 90% des appels soient pris en charge en moins de deux minutes. Et si l'objectif n'est pas atteint, sur une période de deux semaines consécutives, des postes sont automatiquement ouverts pour rendre la réponse plus rapide. Les nombres que j'ai utilisés sont des exemples.

Enfin, il y a les fonctionnaires qui répondent. Ils doivent être capables de s'exprimer clairement en français, et aussi d'écouter, de comprendre les usagers, même s'ils s'expriment de manière alambiquée ou maladroite. Autant que possible, assurons-nous qu'il y en ait qui comprennent des langues étrangères.

Mais surtout, il faut qu'ils aient l'autorité de prendre des décisions. Ils ne doivent pas être aussi désemparés que l'usager devant presque le même formulaire inflexible, il faut qu'ils aient le droit et le pouvoir d'adapter la réponse à la situation particulière à laquelle ils sont confrontés. Ou d'appeler un supérieur si la décision est trop grosse pour leur niveau.

Et bien sûr, comme à chaque fois que l'usager peut être confronté à une décision de l'administration, il faut une procédure de recours.

Voilà comment on assure que l'informatisation ne devienne pas une déshumanisation inflexible : assurer qu'à chaque étape il soit possible de parler à quelqu'un, avec une attente raisonnable garantie par des recrutements automatiques guidés par les statistiques, et que ce quelqu'un ait l'autorité de débloquer les situations.

Mais ce n'est pas suffisant. Si on ne fait que ça, on laisse derrière ceux qui n'ont pas d'ordinateur, ceux qui ne savent pas du tout s'en servir, ceux qui ne sont pas à l'aise pour communiquer à distance, etc., globalement ceux qui ont le plus besoin de l'aide de l'administration.

Tous les lieux qui servaient de guichets à des administration vont voir leur fréquentation chuter, c'est bien normal. On pourrait envisager de les fermer. Mais il y a mieux à en faire.

Installons-y des ordinateurs en libre service, avec comme consigne qu'ils sont destinés en priorité aux gens qui ont des démarches administratives. Et appelons les gens qui sont chargés d'encadrer ces lieux des secrétaires publics.

Leur rôle ne sera pas juste de surveiller que le public ne démonte pas les ordinateurs et de jeter les gobelets de café sales laissés par les malotrus qui ne nettoient pas derrière eux dans les lieux publics.

Leur rôle sera d'aider tous ceux qui en ont besoin, jusqu'à les accompagner pas à pas dans leurs démarches, s'ils jugent que c'est ce dont il y a besoin.

Les secrétaires publics seront un point de contact privilégié entre les administrés et l'administration, une manière de donner figure humaine à un système chargé de gérer des dizaines de millions de personnes, et d'assurer que l'administration reste bienveillante.

C'est un rôle de proximité. Il faudra en mettre un peu partout plutôt que beaucoup tous au même endroit. Dans les écoles, dans les commissariats, dans les hôpitaux : partout où l'état a des locaux ouverts au public, on cherchera à trouver un peu de place pour avoir au moins un bureau ouvert au moins une partie du temps, de manière à ce que tout le monde puisse obtenir leur aide si nécessaire.

Grâce aux secrétaires publics, la dématérialisation des démarches peut progresser, la société peut en retirer les bénéfices maximaux, tout en évitant de laisser derrière les citoyens les plus vulnérables.

Publié le 3 juin 2020