Si j'étais candidat : 6. La retraite
Cet article fait partie d'une série où j'imagine être candidat à l'élection présidentielle française, et où je demande aux lecteurs de jouer le jeu. Pour des précisions sur la démarche et mes raisons, se reporter à l'article introductif de la série.
Avec le climat social actuel, si quelqu'un m'écoute encore, c'est sur la question des retraites qu'on va m'attendre. Je me lance.
Avant d'exploser mes projets, il faut que je clarifie les tenants et aboutissants du problème, car il y a beaucoup de subtilités cachées dans de fausses évidences, comme presque toujours quand on parle d'argent sur une longue période.
Pour commencer, avec le revenu de solidarité, tout le monde a les moyens de vivre décemment. Tout le monde, y compris les retraités. Donc il serait acceptable, en principe, de dire : on vous donne les moyens de vivre votre vieillesse dignement, si vous voulez plus, débrouillez-vous pour économiser. C'est une solution qui marche, qui est acceptable sur le plan éthique. C'est la solution qui est privilégiée par les libertariens de tous poils, ce qu'ils appellent une retraite par capitalisation privée. Mais ce n'est pas la manière française de faire les choses, et ce n'est pas une bonne idée pour différentes raisons.
Ensuite, puisque les mots « retraite par capitalisation » ont été prononcés, je dois expliquer que ce truc n'existe pas, pas vraiment. Les retraités ne mangent pas d'argent, ils mangent, comme tout le monde, de la nourriture, qu'ils ont achetée avec leur pension, et qui a été produite récemment par les actifs. Il en va de même pour une grande partie de leurs besoins : on ne peut pas capitaliser l'électricité, les billets de train ou les places de cinéma. La question des retraites est la question de répartir les richesses disponibles entre les actifs et les retraités, donc tout système de retraite est, au final, un système par répartition.
Le but du système de retraite français est d'assurer que les retraités aient à peu près le même niveau de vie que quand ils étaient actifs, parce que changer de niveau de vie, vers le bas évidemment, ça implique souvent de déménager, de renégocier un emprunt, de revoir les éventuelles activités des enfants, etc., chacun de ces tracas pouvant à son tour occasionner des frais qui font encore plus chuter le niveau de vie. Ce n'est pas efficace socialement, donc il est souhaitable que l'état s'en mêle pour tout stabiliser.
Pour fixer les idées, imaginons une situation simple : tout le monde travaille de 25 à 55 ans et profite de sa retraite jusqu'à 85 ans, le tout en régime permanent et sans évolution de la population. Alors les actifs abandonnent la moitié de leurs revenus et tout ce qu'ils auraient pu acheter avec en faveur des retraités ; en contrepartie, ils ont la promesse que la même chose se passera en leur faveur quand ce sera leur tour.
Abandonner la moitié de ses revenus peut sembler énorme, mais il faut se rappeler que nous sommes dans une situation de prospérité sans précédent : si les fruits de cette prospérité étaient répartis de manière équitable, ce qui est l'objet du reste de mon programme, il y aurait largement assez pour que les actifs et les retraités vivent très confortablement. En fait, un travailleur qui produit assez pour deux personnes, c'était déjà à peu près la situation dans les années 1960, avant l'austérité ; de nos jours, on est plutôt à un pour quatre.
La réalité est, évidemment, plus compliquée, mais le principe reste le même : les actifs abandonnent une partie de leur niveau de vie en faveur des retraités, et ils seront remboursés de leur sacrifice quand ils auront pris leur retraite. Ce qui est plus compliqué, c'est le calcul, comment on choisit quelle part du niveau de vie on demande aux actifs d'abandonner.
Avant d'aller plus loin, il y a une question qu'il faut trancher : puisque la prospérité économique fluctue, faut-il baser le niveau de vie des retraités sur le niveau de vie qu'ils avaient en tant qu'actifs à l'époque ou sur celui qu'ils auraient eu en étant actifs maintenant ? À mon avis, la réponse ne peut être que la seconde : si les temps deviennent durs pour des raisons extérieures, on ne va pas demander aux actifs de se tuer à la tâche pour assurer aux retraités le niveau de vie qu'ils avaient en temps de prospérité.
Nous pouvons maintenant nous concentrer sur la question du calcul, puisque c'est la partie difficile. L'organisme chargé de gérer notre retraite sait combien nous avons cotisé tout au long de notre vie (en tout cas il devrait le savoir !), il peut également se renseigner sur l'état de l'économie au présent : à partir de ces deux informations, il déduit le montant de la pension à verser. Le détail du calcul n'a pas d'importance, la seule chose qui compte, à la fin, c'est le montant de la pension. Qu'on fasse le calcul avec des points, en comptant certaines années ou pas, etc., ce sont des précisions qui ne font qu'embrouiller la situation.
Ceci étant établi, on se rend compte que la notion de régime spécial est une aberration logique : le partage des richesses entre actifs et retraités est global. Les cheminots retraités n'utilisent pas leur retraite seulement pour acheter des billets de train ; et si un jour les transports sont automatisés et gratuits, il n'y aura presque plus de cheminots actifs donc on ne peut pas compter sur eux pour payer la pension des retraités. Il en va de même avec tous les secteurs qui ont un régime spécial.
Pendant longtemps, les gens gardaient le même métier de l'âge adulte à la retraite ; d'un certain point de vue, les gens « étaient » leur métier. Ce n'est plus le monde dans lequel nous vivons : de nos jours, des pans entiers de l'économie peuvent apparaître ou disparaître en quelques années. De plus en plus d'actifs changent plusieurs fois de métier pendant leur vie. Il faut que le système de retraites soit capable de traiter leurs cas, sans leur demander des démarches interminables à chaque changement de métier et encore plus sans les pénaliser par rapport à ceux qui suivent une unique carrière.
Donc ce que je propose, c'est un mode de calcul clair, débarrassé des fioritures qu'il a accumulées au cours du temps, et conçu de manière logique pour prendre en compte toutes les sortes de carrières professionnelles qui existent dans le monde moderne.
De plus, je propose que les paramètres de ce calcul soient choisis de manière à permettre une réduction du temps de travail, de manière à ce que tout le monde puisse profiter de l'augmentation de productivité qui a rendu notre monde si confortable.
C'est le moment d'entrer dans les détails. De trouver quelle est la meilleure formule pour le calcul.
Pour commencer, si quelqu'un gagne et cotise un peu plus pendant sa vie, sa retraite doit être d'autant plus élevée : la formule doit être linéaire par rapport aux cotisations.
Ensuite, puisque je veux permettre et favoriser la réduction du temps de travail, regardons le cas d'une personne qui passe sa carrière à mi-temps. Si elle travaille deux fois moins d'heures dans la journée, son salaire sera deux fois moindre, ses cotisations de même, et donc sa retraite idem. Mais travailler à mi-temps, ça peut aussi se faire en travaillant un an sur deux. Comme la contribution à la richesse du pays est la même, la retraite doit également être la même.
Donc le décompte de trimestres est une idée bonne pour la poubelle : elle fixe des contraintes arbitraires et infondées sur la durée et la forme de la vie active des gens et cherche à les obliger à tous se conformer au modèle dominant. À la place, on doit prendre la règle évidente : quelqu'un qui a travaillé un peu moins longtemps touchera un peu moins, tout comme quelqu'un qui a travaillé un peu moins intensément.
Si on ne compte pas les trimestres, il reste la question de l'âge de départ à la retraite. Avoir un âge légal, officiel, rendu obligatoire par le calcul, impose une rigidité du système qui nuit aux gens dont la situation s'éloigne du modèle commun. Pour éviter ça, je vais proposer une solution assez radicale.
Pas d'âge de départ à la retraite : que chacun cesse de travailler quand il le choisit, en fonction de tous les paramètres de sa situation personnelle. Et puisse reprendre le travail plus tard si la situation ou ses priorités on changé.
Mais alors il devient avantageux de demander sa pension le plus tôt possible. Allons jusqu'au bout de ce raisonnement : que tout le monde touche sa pension dès le début.
Elle commencera faible, mais sera un complément agréable au salaire et au revenu de solidarité. Et au fil du temps et des cotisations elle augmentera et apportera de la stabilité économique aux âges où on commence à avoir des responsabilités.
Bien sûr, il faut prendre en compte l'espérance de vie, et il y a des détails techniques à fixer, mais le principe est assez simple : un jeune de vingt ans qui cotise soixante euros s'ouvre le droit à une pension d'un euro sur une soixantaine d'années, tandis que quelqu'un qui cotise pour la dernière fois à soixante-dix ans (son métier était passionnant) augmente sa pension d'environ six euros sur les dix années à venir.
Ceci est une grosse simplification qui ne tient pas compte de l'inflation. Pour le faire correctement, il faut se rappeler que chaque euro ouvre le droit à une petite partie des richesses disponibles à ce moment. L'argent des cotisations retraite est en concurrence avec le reste de l'argent dans le système : total des cotisations plus total des revenus après cotisation. C'est donc ce rapport qu'il faut calculer : le montant cotisé divisé par ce grand total sur la même période, réparti sur les années de pension à venir et reconverti en argent de la même manière.
Cette règle précise totalement le montant des pensions et aussi le montant des cotisations, et elle évite de faire intervenir un nombre sorti du chapeau sans justification précise, comme un pourcentage constant du PIB. Nous avons cependant la possibilité de fixer les paramètres du système au moment où nous décidons comment les cotisations versées sur l'ancien système seront converties. Nous avons également la liberté de décider, collectivement, de décaler le système dans son ensemble dans un sens ou dans l'autre, si la situation économique le rend nécessaire ou souhaitable.
Au sujet de la transition, il faut mentionner que les salaires, sur les cinquante dernières années, ont stagné alors que la productivité a continué à augmenter, à cause des idéologies thatchérienne et réganienne de dérégulation et de désengagement de l'état, et de l'affaiblissement des travailleurs qui en découle. Le résultat en ce qui concerne les retraites est que les cotisations passées étaient beaucoup trop basses, à fortiori parce que leur taux a été réduit pour compenser les bas salaires. La transition vers une société plus juste doit passer par la revalorisation rétroactive de ces cotisations pour leur inclusion dans le calcul du nouveau système. Et je parle ici d'une revalorisation massive, de plus de 60%.
On pourra reprocher un défaut apparent grave à ce système : il ne tient pas du tout compte des spécificités des métiers, en particulier leur pénibilité. Sur le principe, je suis totalement d'accord que les gens qui pratiquent un métier pénible doivent pouvoir partir à la retraite plus tôt : il n'est pas normal, dans une société d'abondance, que des gens sacrifient une partie de leur espérance de vie ainsi. Des solutions ont été proposées, en particulier le fameux « compte professionnel de prévention » ; je les trouve mal pensées.
Voyons comment atteindre cet objectif de manière logique et élégante. Pour partir plus tôt à la retraite, il faut cotiser davantage. Pour cotiser davantage, il faut un salaire plus élevé. Et c'est bien ça la bonne solution : si un métier est pénible, il mérite un salaire plus élevé, tout simplement, et ce salaire plus élevé permet automatiquement de partir plus tôt à la retraite si on le souhaite. Les aménagements de retraite ad-hoc ne sont au fond qu'une subvention déguisée pour permettre aux employeurs de ne pas payer assez ces métiers ; je n'en veux pas. J'ai déjà expliqué que j'attends de l'ensemble de mes mesures, à commencer par le revenu de solidarité, un renforcement du pouvoir de négociation des travailleurs qui leur permettra d'exiger les salaires qui leur sont dus. C'est sur ce terrain que je me battrai à leur côté, pas sur le terrain des règles de calcul de la retraite.
Ce système que je propose est très différent de notre approche actuelle de la retraite, et plus généralement de la carrière. Il ne traite plus les travailleurs comme des pièces dans la machine qui doivent occuper leur rôle tant qu'elles le peuvent et sont enfin récompensées quand elles ne servent plus à rien. Au contraire, il permet aux travailleurs d'obtenir une partie du fruit de leur travail sous la forme de stabilité économique définitivement acquise, et leur donne ainsi de plus en plus de liberté pour décider la forme que doit prendre leur carrière. De plus, il ne conditionne plus cette progression de stabilité au fait de conserver un même emploi, ce qui ouvre la voie à des carrières plus variées et renforce le pouvoir de négociation des travailleurs.
En faisant percevoir les pensions immédiatement, il permet de faire des actifs des bénéficiaires immédiats du système, et donc des partisans. Fini le désengagement de la question sur le ton de « de toutes façons, quand ce sera mon tour ça n'existera plus ». Chacun reçoit, très peu au début mais assez pour que l'évolution soit sensible. C'est un facteur de succès du système.
Publié le 2 mars 2020