Si j'étais candidat : 5. Repenser les institutions

Cet article fait partie d'une série où j'imagine être candidat à l'élection présidentielle française, et où je demande aux lecteurs de jouer le jeu. Pour des précisions sur la démarche et mes raisons, se reporter à l'article introductif de la série.

J'ai révélé dans mon discours précédent ma principale mesure, le revenu de solidarité, une forme de revenu universel. Avant de développer davantage mes autres mesures pratiques dans le domaine économique, je tiens à expliquer un élément de ma démarche.

Nos institutions sont le fruit d'une construction progressive, d'ajouts et de réformes successifs. Un problème survient, devient assez grave pour mériter des mesures : on adapte la loi en conséquence, à minima pour ne pas dépenser trop d'influence politique. Cette construction a laissé de nombreuses traces, comme une maison rénovée qui peut avoir des portes condamnées et des interrupteurs qui ne contrôlent rien.

Je veux repenser nos institutions, afin d'éliminer ces traces illogiques du passé, afin de les rendre plus efficaces, plus rationnelles.

Je devine des gens qui font la grimace à ces mots. En effet, par le passé, de nombreux politiciens ont employé des expressions semblables mais ont laissé les institutions concernées plus diminuées qu'optimisées.

Ce que ces politiciens ont soigneusement oublié de mentionner, c'est que même optimisé au maximum, même soumis à des règles propres et logiques, le fonctionnement d'une institution fait toujours intervenir des paramètres. Il y a toujours des leviers dont on est libre de choisir la position. C'est la logique de la règle qui détermine si le fonctionnement de l'institution est efficace et évite les gaspillages et les effets pervers. Mais c'est le réglage des paramètres qui décide si l'institution est généreuse ou insuffisante.

Presque toujours, quand nos institutions ont été réformées, optimisées, on en a profité pour tirer les leviers vers le bas. Quand un politicien standard parle d'optimiser un service public, il parle de faire autant avec moins, en prélude à faire moins avec beaucoup moins. Quand moi je parle d'optimiser un service public, je parle de faire plus avec autant, pour pouvoir faire encore plus dans de bonnes conditions.

Je dois être parfaitement honnête, certains postes disparaîtront de la fonction publique. Par exemple, je souhaite éviter de mettre des condition de moyens sur l'accès aux aides sociales : les postes constituant à vérifier que les pauvres ont bien produit les documents prouvant leur pauvreté ne seront plus nécessaires. Cependant, j'insiste sur le fait que si les postes seront à terme supprimés, ceux qui les occupent n'ont pas à se faire de souci. D'abord parce que pendant la période de transition nous aurons un grand besoin de leur expertise, donc ils auront largement le temps d'organiser leur avenir. Ensuite parce que de nombreux autres postes seront disponibles dans la fonction publique. Et enfin parce que d'ici là, j'espère que la transformation de la société que je veux provoquer aura assez commencé pour que la disparition de ces postes ne soit pas un drame personnel.

Il faut le dire, les fonctionnaires font marcher nos institutions, nos services publics. Ils sont là pour éduquer la prochaine génération, résoudre nos problèmes d'impôts, trancher nos différends. Nous voulons qu'ils fassent leur métier avec dévouement et efficacité. Pour ça nous devons leur montrer du respect, et exprimer ce respect par leurs conditions de travail.

Mais personne ne mérite que la société s'arrête sur le chemin du progrès pour maintenir un poste devenu inutile. Tout ce qu'on peut faire, c'est s'assurer que la disparition de ce poste ne soit pas une catastrophe, que ce ne soit qu'un inconvénient mineur de la vie comme il en arrive tant.

Les choses étant clairement dites, en quoi consiste cette remise à plat des institutions que je prévois ?

Le revenu de solidarité est un bon exemple de l'idée. Au lieu de se demander quelle aide mettre en place pour ceux qui en ont besoin, en complément des aides qui existent déjà, on se demande quelle forme doit prendre une aide qui touche le maximum de monde le plus simplement possible. La réponse fait certainement double emploi avec les aides existantes, il faudra les supprimer progressivement au fur et à mesure que la nouvelle solution est mise en place.

La mauvaise conception de nos institutions est la cause profonde de nombreux problèmes pratiques. Par exemple, on a parlé beaucoup de l'« uberisation » de la société, pour désigner la transformations de métiers en missions ponctuelles coordonnées par des plate-formes automatisées, du nom de la première plate-forme largement connue : en exploitant des régimes de travail particuliers prévus pour d'autres cas, Uber parvient à éviter de payer ses cotisations sociales.

Mais Uber ne fait que ce que le système lui demande de faire : du bénéfice à court terme sans se préoccuper de l'impact sur la société. Nous avons laissé le fromage des cotisations sociales sans surveillance, le chat Uber y a mis la patte et le menton, et nous sommes en colère après Uber ?

Avec des institutions bien conçues, pour un même travail concret, les employeurs devraient verser les mêmes cotisations sociales, qui bénéficieraient de la même manière aux travailleurs, quel que soit le statut qu'ils décident d'utiliser.

Attention, des institutions bien pensées, ça ne veut pas dire légiférer sur tout. Il faut réfléchir aux conséquences indirectes. La question du salaire minimum en est un bon exemple : on pourrait croire que l'augmenter est favorable aux travailleurs, mais c'est rater plusieurs conséquences néfastes : le déséquilibre entre les grandes et les petites entreprises, l'incitation à pressurer les employés davantage, la rupture entre les salariés et les autres, etc.

Plutôt que de décider d'en haut le montant correct du salaire minimum, il vaut mieux donner aux travailleurs les moyens d'exiger pour eux-mêmes le salaire qu'ils méritent. Donc renforcer leur pouvoir de négociation. Le revenu de solidarité est la première pierre de cet édifice : on peut le voir comme une caisse de grève à durée illimitée. Dès qu'il sera mis en place, la balle sera dans le camp des syndicats. Une grève générale du secteur privé avec des services publics qui fonctionnent toujours, ça changerait un peu. Mais espérons que les patrons aient l'intelligence de ne pas laisser la situation en arriver là, et comprennent qu'ils doivent augmenter les salaires immédiatement.

Repenser les institutions, c'est aussi repenser la manière dont on investit et dépense l'argent public. Pour le moment, la France se comporte comme une caricature d'anorexique-boulimique : de temps en temps, elle investit des sommes pharaoniques dans des projets somptueux, et puis elle se serre la ceinture et laisse le résultat se dégrader, jusqu'à la prochaine crise de dépense. C'est du gaspillage : nous avons de magnifiques bâtiments neufs, et au bout de deux mois les toilettes sont cassées et jamais réparées.

Il est important que les budgets de fonctionnement soient suffisants, que l'entretien soit fait régulièrement, pour que nos investissements gardent leur valeur et continuent à rendre à plein les services que nous attendons d'eux.

La même chose est valable pour les dépenses privées : l'argent manque tellement là où il y en a besoin que nous sommes obsédés par l'idée de payer le moins cher possible. Ça conduit les fournisseurs à rogner au maximum sur tout ce qui peut se rogner, tout ce qui ne se voit pas et que nous paierons plus tard plus cher. Il faut lutter contre ça aussi.

Si c'est fait honnêtement plutôt que comme un prétexte pour réduire les services publics et paver la route à la privatisation, réorganiser la société peut nous permettre de vivre beaucoup plus confortablement avec moins de moyens, moyens qui seront alors libérés pour encore améliorer notre confort.

Publié le 3 février 2020