Si j'étais candidat : 3. Sur l'économie et la technologie

Cet article fait partie d'une série où j'imagine être candidat à l'élection présidentielle française, et où je demande aux lecteurs de jouer le jeu. Pour des précisions sur la démarche et mes raisons, se reporter à l'article introductif de la série.

Nous ne retrouverons pas les trente glorieuses. Si nous nous y prenons bien, nous pouvons vivre mieux que pendant les trente glorieuses, mais pas de la même manière. Le monde a changé en un demi siècle, il ne reviendra pas en arrière. C'est à nous de le faire aller dans la bonne direction.

Pour vous convaincre que le genre de société que je veux construire est possible, je vais un peu parler d'économie et de technologie. Et je vais commencer par la fameuse croissance.

La croissance, c'est de combien augmente chaque année la production totale du pays.

Pour commencer, il faut savoir que la croissance est basée sur le PIB, qui compte positivement l'essence brûlée dans les embouteillage mais compte pour zéro la fabrication artisanale d'un meuble qui sera ensuite offert. Ce n'est pas une bonne définition de valeur, et les économistes ont besoin de se remettre au boulot. Mais ce n'est pas de ça que je veux parler immédiatement.

La population du pays augmente. La production et la consommation doivent logiquement augmenter de la même manière. C'est le niveau de base de la croissance, et c'est normal. Le problème se situe au delà.

Partons de la situation où le pays produit juste assez pour tous ses habitants. Les gens deviennent plus habiles, les outils deviennent plus performants. Il devient donc possible d'une part de travailler moins, et d'autre part de produire davantage : des biens qui ne sont pas nécessaires à la subsistance mais qui améliorent le confort, des babioles, sauf le côté péjoratif de ce mot car un bon roman est une babiole très honorable.

Mais à mesure que les outils deviennent plus performants, ils deviennent aussi plus chers. Ceux qui les possèdent cherchent à garder les bénéfices qu'ils rapportent pour eux-mêmes. Les travailleurs n'ont donc pas les moyens d'acheter les babioles qu'ils produisent, ou pas le temps d'en profiter. La solution est de les vendre aux voisins. Les étrangers achètent à crédit, qu'ils rembourseront en se mettant eux-mêmes à produire des babioles et à les vendre à crédit à leurs voisins, et ainsi de suite.

Si à ce point vous vous dites que c'est une arnaque pyramidale, vous avez parfaitement raison, et vous avez mieux compris la croissance que tous les présidents passés.

Nous sommes arrivés au point où la croissance se heurte au problème qui fait s'effondrer toutes les arnaques pyramidales : quand tout le monde produit des babioles, il n'y a plus de nouveaux marchés à conquérir, donc les étrangers vont essayer de nous vendre leurs babioles, moins chères et aussi bonnes.

Un autre modèle est possible que cette folle course en avant. Il faut produire mieux, pour éviter de gaspiller nos efforts. Il faut mieux répartir les fruits du travail, de sorte que tout le monde puisse consommer les biens produits. Il faut réduire le temps passé à travailler, pour produire moins mais avoir le temps de profiter de ce qu'on produit.

Si tout le monde travaillait tout le temps, personne n'aurait le temps ni l'énergie de profiter de la production. À l'autre bout, si personne ne travaillait du tout, il n'y aurait rien à consommer. Si on travaille plus, on produit plus mais on a moins de temps de profiter. Comme deux trains qui circulent en sens inverse, il y a un point où ça se croise, un point où nous avons juste le temps de consommer ce que nous produisons. C'est ce point qu'il faut viser.

À mesure que le temps passe, nous produisons plus efficacement, donc le train de la production va plus vite : le point de croisement se déplace vers le côté qui accélère.

C'est pourquoi, dans le domaine économique, la réduction du temps de travail a été la mesure la plus intelligente de ces dernières années.

De l'autre côté, retarder le départ à la retraite, forcer les chômeurs à accepter n'importe quel boulot, ce sont des mesures complètement idiotes. Notre problème est un problème de répartition. Si tous les chômeurs qu'on oblige à perdre leur temps en démarches incessantes étaient laissés tranquilles, il n'y aurait pas moins de production. Et eux auraient le temps de s'impliquer dans leur communauté, de tisser du lien social.

Il est indispensable d'assurer à tout le monde un niveau de vie minimal, par le biais d'aides sociales et de services publics. Ça ne détruira pas la société, parce que les gens ne veulent pas se contenter du minimum, donc ils travailleront pour obtenir plus. Mais il travailleront juste ce dont ils ont besoin pour assurer leurs envies.

Quand cette base sera assurée, la société sera transformée, parce que le rapport de force sera rééquilibré. Si vous n'avez pas à craindre la misère, vous pourrez tenir tête à votre patron, vous mettre en grève illimitée et exiger des conditions de travail et un salaire décents.

J'ai mentionné plusieurs fois que nous produisons davantage grâce à de meilleurs outils. En termes techniques, on dit que la productivité augmente. La raison de cette augmentation est l'autre sujet de mon discours : la technologie.

Depuis l'aube de l'humanité, nous n'avons cessé d'inventer des outils toujours plus efficaces, c'est un élément essentiel de ce qui nous fait humains. Sous l'influence de ce progrès technique, la société évolue, et les secteurs économiques évoluent de même. Ça n'a rien de nouveau : l'imprimerie de Gutenberg a mis un frein aux vocations de moines copistes ; mais elle a aussi permis une hausse globale du niveau d'éducation de la population.

Quand un secteur économique devenait obsolète à cause du progrès technique, il disparaissait progressivement simplement parce que moins de jeunes en faisaient leur carrière. Personne n'en souffrait spécifiquement, et il restait pour la société les effets du progrès lui-même.

Mais ça, c'est le passé. Avec les révolutions industrielles, le progrès s'est accéléré, son temps caractéristique est devenu plus court que la carrière d'un travailleur. Quelqu'un ayant toujours pratiqué une profession peut se retrouver sans débouchés, donc sans revenus et dans la misère, parce qu'une machine l'a remplacé. Il est alors assez naturel de tourner sa colère contre la technologie. C'est ce qu'ont fait par exemple les mouvements luddites.

Mais c'est une erreur. La faute de cette misère incombe à l'organisation sociale, qui conditionne le niveau de vie à un métier potentiellement éphémère.

Une organisation sociale intelligente doit permettre d'embrasser la technologie sans réserve. Ou au moins, sans réserves liées à l'économie, car les questions d'éthique, de santé et d'environnement seront toujours là.

Si je veux un un filet de sécurité social solide, c'est pour qu'il puisse servir de trampoline.

Je veux que ceux qui perdent leur emploi, que ce soit à cause de la technologie ou pour une autre raison, n'aient plus à y voir le début de la galère et de la misère, mais au contraire une opportunité. De reprendre des études plus épanouissantes. Ou de se lancer dans un nouveau métier moins pénible. Ou de s'occuper de leur famille et de leur quartier.

Pour ça, il faut que le système de protection social, le filet de sécurité, soit sans faille et solide. Il ne faut pas l'effilocher sans cesse en cherchant le moindre prétexte pour radier les bénéficiaires. Il faut au contraire le renforcer. Et surtout faire confiance aux gens : ce qu'ils décideront de faire une fois dans le filet sera le mieux pour eux, et donc probablement pas loin du mieux pour la société.

Depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, nous avons largement, et de plus en plus, les moyens de vivre mieux, de vivre bien. Ce n'est qu'un choix d'organisation sociale maladroit qui nous en empêche, et une mentalité de suspicion entretenue par ceux qui en profitent. Débarrassons-nous de cette mentalité, organisons la société correctement, et nous vivrons tous confortablement, entre autres grâce à la technologie.

Publié le 3 novembre 2019