Qu'est-ce que l'intelligence ?

Je m'attaque à une question difficile, mais je n'ai pas vraiment l'intention d'y répondre. Je ne vais pas chercher à dégager une définition opérationnelle, et encore moins permettant de mesurer l'intelligence. Ce que je veux faire, c'est expliciter certains éléments qui font nécessairement partie de la notion, telle que mon intuition se la représente.

Ceux qui cherchent à donner une définition opérationnelle de l'intelligence, un critère pour évaluer son existence, parlent souvent de capacité à résoudre des problèmes, à s'adapter à son environnement. Mais c'est passer à côté d'une partie du sens du mot, tel que le comprennent beaucoup de gens, et qui est évidente dans son étymologie : l'intelligence suppose la compréhension, qui est une forme de pensée.

Or Descartes nous disait : « Je pense donc je suis. »

L'intelligence est un attribut de quelque chose qui pense, donc qui est. De quelque chose qui peut penser à la première personne. Et dans ce cas, on ne dit pas quelque chose, on dit quelqu'un.

J'ai ajouté : « Je pense, donc je suis, donc je veux. »

La pensée, donc l'intelligence, implique la capacité à avoir une intentionnalité, à décider ses objectifs et la manière de les atteindre.

En résumé, ne peut être intelligent que quelque chose qui mérite d'être appelée quelqu'un, capable de penser à la première personne, qui éprouve donc une expérience subjective, et capable de faire des choix, donc qui dispose du libre arbitre.

Et l'intelligence artificielle, dans tout ça ? Ces dernières années, on lui a fait faire des progrès spectaculaires. Mais est-ce vraiment de l'intelligence ? J'ai envie de répondre non.

L'intelligence n'est pas un mécanisme. Sans expérience subjective, l'intelligence artificielle n'est que du calcul. Ce calcul arrive à des résultats impressionnants, mais il n'y a pas vraiment au de saut qualitatif par rapport aux premiers balbutiements, seulement des progrès quantitatifs.

Donc pour le moment, ce que l'intelligence artificielle nous apprend, c'est ce que la vraie intelligence n'est pas.

Tous les problèmes qu'on peut résoudre par du calcul intensif, tous les résultats qu'on peut atteindre mécaniquement, ne demandent pas l'intervention de l'intelligence proprement dite.

Peut-être un jour créerons-nous des machines capables d'éprouver une expérience subjective, de penser à la première personne et de prendre des choix. Étant matérialiste, ou plutôt physicaliste, je pense que c'est fondamentalement possible. Mais je pense également que nous en sommes très loin.

Selon certaines définitions opérationnelles, l'intelligence artificielle a déjà dépassé l'intelligence humaine dans certains domaines. Cependant, j'ai l'intime conviction qu'il ne s'agit pas de « vraie » intelligence, et c'est cette intime conviction que j'essaie de rationaliser ici.

L'intime conviction est plus du domaine de l'émotion que de la raison. Je pense qu'il n'est pas possible de séparer raison et émotion. D'un certain point de vue, les émotions sont des réponses intuitives vagues et informulées à des questions tout aussi vagues et informulées, l'intuition étant la partie subconsciente de l'intelligence.

Le monde est trop compliqué pour pouvoir être appréhendé avec la raison seule. Nous avons besoin de l'intuition et de l'émotion. Pour bien comprendre le monde, il est souhaitable d'entraîner ses émotions à écouter la raison quand elle est sûre d'elle, mais il faut aussi entraîner sa raison à reconnaître ses propres limites. L'intime conviction se produit quand l'émotion et la raison sont d'accord sur un sujet.

Même les mathématiques, le domaine de la raison par excellence, sont sujettes à cette dualité : c'est l'intuition qui nous dit si une piste de démonstration semble prometteuse, si une définition paraît intéressante, et la certitude de ne pas avoir fait d'erreur dans une démonstration est une émotion, tout comme celle que le résultat démontré dit bien ce qu'on croit qu'il dit.

Nous ignorons encore complètement la nature du pont qui existe entre l'expérience subjective et la réalité objective. Je suis convaincu qu'aucune définition satisfaisante d'intelligence n'est possible tant que ce mystère n'est pas en partie éclairci.

Publié le 13 août 2019