Paperasse informatisée
C'est la saison de la déclaration de revenus. Le moment de se rappeler à quel point cette démarche a mal été adaptée à l'informatique.
De nos jours, la déclaration est en grande partie déjà remplie, ce qui fait que cette mauvaise conception nuit à de moins en moins de personnes, mais ce n'est pas une excuse, car ceux qui ont des choses à rajouter ou changer par rapport au remplissage automatique seront confrontés au formulaire entier.
Avant l'informatisation, le formulaire de déclaration de revenus faisait plusieurs pages avec une ribambelle de cases à cocher ou remplir, selon les différentes catégories fiscales de revenus à déclarer. Les contribuables qui avaient plusieurs revenus dans la même catégorie devaient additionner les montants eux-mêmes avant de remplir la case. Pour la plupart des gens, presque toutes les cases restaient vides.
Depuis l'informatisation, ça n'a absolument pas changé. Le formulaire est sur un écran, mais il a exactement la même forme, la même structure. On a un peu tiré parti de la puissance de l'ordinateur : les notes de bas de page sont maintenant des bulles d'aides ou des liens hypertextes, il y a un moteur de recherche ; mais ce sont des détails cosmétiques, annexes. Le cœur de la démarche, le formulaire lui-même, est toujours le même.
Un ordinateur sait déplacer une information pour la mettre à sa place. Un ordinateur sait faire des additions ! Ce travail de répartir les revenus dans les bonnes cases, d'additionner quand il y en a plusieurs, aurait pu être automatisé, les innombrables champs cachées. Ainsi, le contribuable pourrait avoir sous les yeux une petite liste de revenus et informations, seulement ce qui est pertinent pour lui sous une forme compacte : une présentation beaucoup moins propice aux erreurs et aux oublis, beaucoup moins stressante.
Avec un tel système, ces informations pourraient être saisies directement par copier-coller depuis les différents justificatifs : un code standardisé qu'il suffit de donner au formulaire des impôts pour qu'il se remplisse. Avec toujours la possibilité de le faire manuellement si on n'a pas de justificatif : ça reste plus ergonomique.
Le plus rageant, c'est que depuis que la déclaration est pré-remplie, c'est de fait comme ça qu'elle fonctionne : les employeurs et les banques transmettent au fisc les informations qu'ils ont à notre sujet, ça apparaît sur la grande page blanche à la fin de la déclaration, et l'ordinateur ventile les montants dans les différentes cases et additionne. Mais si le contribuable a des éléments à déclarer qui n'ont pas été remontés ainsi, il ne peut pas laisser l'ordinateur faire le travail.
Comme beaucoup de choses, le formulaire de déclaration de revenus a évolué sous les contraintes du moment. Avec le temps, certaines contraintes peuvent disparaître, mais leurs conséquences vont rester. C'est pourquoi il est important de régulièrement repenser, remettre à plat les démarches. Si on ne le fait pas, on risque de s'imposer ces contrainte sans raison, sans en retirer de bénéfice. On le voit très bien sur l'exemple du droit d'auteur : parce qu'il a été conçu sur la base de la rémunération à l'exemplaire distribué à une époque où la production d'exemplaires était très lourde, on se retrouve de nos jours à des freins purement légaux et complètement absurdes à la duplication, comme l'idée qu'une bibliothèque aurait un nombre limité d'exemplaires électroniques d'un livre à prêter.
L'informatique aurait une solution à apporter au problème du formulaire des impôts mal conçu : il suffirait qu'un autre logiciel, bien conçu, le remplisse pour nous. En principe, c'est très facile : le logiciel interroge le site du fisc pour obtenir les éléments pré-remplis et la structure du formulaire, on y saisit le complément, le logiciel fait les calculs et va remplir le site du fisc.
En pratique, cette solution ne marche pas, parce que presque tous les sites sont conçus exclusivement pour être visités par des êtres humains, pas pour être visités par des ordinateurs. Dans le cas de sites commerciaux, qui tirent leurs revenus de la publicité qu'ils infligent à leurs visiteurs, c'est compréhensible. Très inefficace, mais compréhensible. Dans le cas du site d'une administration, c'est inexcusable.
Et souvent, ce n'est même pas un choix réfléchi. C'est parfois un choix délibéré, sur la base nébuleuse de scénarios capilotractés d'accès abusifs à empêcher. Mais le plus souvent, c'est simplement de la négligence : faire le site de la manière la plus évidente, la plus habituelle. Mais dans les deux cas, c'est négliger le bénéfice que peuvent générer certains utilisateurs en automatisant l'accès. De plus, par définition même d'automatiser, ce bénéfice ne profiterait pas seulement à ces utilisateurs avancés : une fois développé, il peut être partagé ; tout le mouvement du logiciel libre repose sur ce principe.
Si on considère l'ordinateur comme un simple outil, plus rapide et plus puissant que ses prédécesseurs, quand on l'introduit pour traiter un problème, alors même si c'est bien fait (ce qui est loin d'être toujours le cas), le résultat est décevant, médiocre. Car l'ordinateur est tout sauf simple. Tirer pleinement partie de ses possibilités ne demande pas seulement de la technique, mais également de la créativité. À défaut de savoir l'enseigner (pour le moment ?), il faut en profiter quand elle existe : tous les projets, toutes les équipes de développement devraient avoir en leur sein au moins une personne issue de la culture de bidouille.
Publié le 13 juin 2020