Musique et complexité
Dans les jeux vidéo de notre enfance, le boss de la fin du premier niveau revient au niveau trois comme un monstre un peu coriace, et au niveau cinq n'est plus que du menu fretin.
« Il y a trop de notes », aurait dit l'empereur Joseph à Mozart. Aujourd'hui, un virtuose du rock peut interpréter toute l'ouverture de l'Enlèvement au sérail dans un riff de guitare. Toutes les notes n'y sont pas, la résolution de l'instrument ne le permet pas. Mais l'idée de la musique de Mozart y est en entier. La musique de Mozart elle-même n'aurait pas pu voir le jour sans les études de Bach. Chaque coup d'archet d'un orchestre symphonique contient toute la musique des baroques.
La musique a un aspect fractal : elle est complexe à tous les niveau.
Chaque époque, chaque style, bâtit sur les époques et les styles qui les ont précédés et introduit sa propre spécificité, sa propre complexité, et ce-faisant sa propre beauté.
Même les reculs apparents dénoncés par certains snobs peuvent en réalité être des progrès. La musique atonale ne pourrait pas ignorer les règles de l'harmonie classique si elles n'étaient pas parfaitement maîtrisés. De même, les peintres cubistes n'ignorent pas la perspective, ils mettent autant de soin à la transgresser que leurs homologues de la renaissance mettaient à la respecter.
Combien de décennies nous a-t-il fallu pour apprendre à apprécier la musique symphonique ? Bien moins que les millénaires qu'il nous a fallu pour évoluer des réseaux de neurones capables d'isoler une sinusoïde. Pour quel avantage évolutif ? Être capable de reconnaître un prédateur qui s'approche furtivement est un trait de survie indéniable. La musique, elle, est faite de motifs de plus en plus complexes ; savoir l'apprécier, c'est apprendre à les reconnaître, pas seulement dans le son, mais aussi dans les phénomènes naturels, les comportements humains, etc.
Il y a quelque chose d'exponentiel dans la culture. Un mot peut recouvrir un ensemble subtil de concepts, une expression peut faire référence à un roman entier. Chaque œuvre nouvelle fait référence aux œuvres passées mais devient en même temps un objet de référence pour les œuvres à venir.
J'ai l'impression subjective de vivre à l'époque d'un foisonnement exceptionnel de la culture : le nombre et la variété des œuvres disponibles offrent une richesse sans précédent. Mais peut-être ce foisonnement est-il perpétuel, car c'est le propre d'une exponentielle que son taux d'accroissement est le même à tout instant. D'autant que la puissance de la culture est démultipliée par la technologie et la démographie, qui sont elles aussi exponentielles.
Où est-ce que je veux en venir ? Nulle part, je voulais juste manifester mon admiration.
Publié le 1er novembre 2018