Le baccalauréat idéal

Ces jours-ci, on ne parle que de la réforme du baccalauréat et des filières du secondaire que nous prépare le gouvernement. Le renforcement du contrôle continu, un « grand oral », des majeures et des mineures. Je n'ai pas eu besoin de regarder les détails pour voir que, même si certaines mesures sont intéressantes, les choses vont plutôt dans la mauvaise direction. Quelques mois auparavant, le sujet à la mode en matière d'éducation était les cafouillages du fameux « APB » et son remplacement par « parcoursup ».

Et dans tous ces débats, je n'ai vu personne se rendre compte de cette évidence : ça devrait être la même chose !

Je vais commencer par faire le point précis sur la situation actuelle pour ceux qui ne sont pas familiers avec, puis j'expliquerai dans les détails comment je conçois un bon système d'évaluation de l'enseignement secondaire. Je vais me concentrer sur le cas du baccalauréat général afin de ne pas disperser mon discours.

Le baccalauréat, le bac pour faire court, est le diplôme qui marque la fin des études secondaires et le début des études supérieures. Il est en particulier statutairement indispensable pour s'inscrire dans le supérieur.

Il se décline en trois filières, S comme scientifique, ES comme économique et social et L comme littéraire, correspondant à des programmes très différents et dont le choix s'effectue en fin de classe de seconde. Les filières se subdivisent encore en spécialités, qui modifient de manière mineure le programme et l'évaluation, et en options facultatives.

L'évaluation du bac se déroule principalement sous la forme d'un examen final écrit, en fin de classe de terminale, avec une semaine d'épreuves, plusieurs heures par jour, et tout un tralala d'organisation. Les épreuves sont nationales, la correction est anonyme.

Il y a quelques épreuves qui dérogent à la règle : certaines, dites anticipées, se déroulent en première ; quelques unes sont évaluées par les profs des élèves eux-mêmes ; et les oraux ne peuvent pas être réellement anonymes. Mais ces exceptions ne sont pas suffisantes pour changer les caractéristiques de l'évaluation de manière significative.

Une moyenne est calculée à la fin de toutes ces épreuves. Les candidats qui ont une note suffisante sont admis, éventuellement avec mention, ceux qui en ont une insuffisante sont recalés, après éventuellement un oral de rattrapage et l'examen du dossier scolaire.

D'autre part, le bac n'est pas un diplôme professionnalisant, on est censé faire des études supérieures après. Or pour ça il faut une place dans une formation, et les formations les plus courues sont sélectives. Pour simplifier et uniformiser l'attribution des places, le système « admission post-bac », APB pour faire court, a été inventé.

Le système est assez simple sur son principe : les élèves émettent des vœux sur les formations qu'ils souhaitent par le biais d'un site web officiel, les responsables des formations classent les élèves en fonction de leur dossier, l'Ordinateur s'empare de tout ça et optimise les affectations.

Lors de la session 2017, un gros cafouillage s'est produit dans la procédure APB dont le résultat a été des milliers de candidats sans affectation dans le supérieur. Les instances ont, dans l'urgence, changé quelques règles pour faire disparaître les problèmes (pas pour les résoudre, pour les supprimer, ce n'est pas pareil), et renommé ça « parcoursup ». Mais c'est la même chose.

Le fait important à savoir au sujet d'APB, c'est que l'essentiel se déroule de février à mai. C'est à dire avant les épreuves du bac, et à fortiori ses résultats. Le dossier sur lequel s'appuient les formations pour classer les élèves est constitué d'évaluations par leur profs de première et ceux de terminale jusqu'au conseil de classe du deuxième trimestre.

Les réformes successives récentes et à fortiori la réforme qui se profile ont toutes en commun de renforcer dans le bac la part du contrôle continu. Ce terme désigne des évaluations nombreuses faites régulièrement tout au long de la scolarité. En soi, c'est plutôt une bonne chose, car ça réduit l'aléa inhérent aux épreuves finales ainsi que le stress des candidats.

Mais la distinction entre épreuves finales et contrôle continu cache une autre distinction plus pernicieuse : celle entre une épreuve nationale à correction anonyme et un contrôle fait en classe par le prof lui-même. Ces contrôles existent déjà, ils sont nécessaires pour remplir les bulletins trimestriels et suivre l'évolution des élèves, ce sont eux qui comptent pour APB. Ce qui change avec les réformes est qu'ils comptent de plus en plus pour le bac lui-même.

(Et bien sûr, cette distinction explique la volonté de pousser dans ce sens : moins d'évaluation finale permet de faire des économies sur l'organisation, alors que compter davantage les contrôles qui de toutes façons existent déjà ne coûte rien.)

Le mérite de l'épreuve nationale et anonyme est qu'elle est égalitaire : la difficulté de l'épreuve et la sévérité de la correction sur les mêmes partout, donc la valeur de la note est la même, quelle que soit l'origine du candidat. Ce n'est pas du tout valable pour les contrôles en classe, où les profs sont en quelque sort juges et partie. La difficulté des questions, l'exigence de la correction et la grille de notation sont adaptées aux élèves de la classe, pour plein de bonnes et de mauvaises raisons. D'ailleurs, les gens qui évaluent les dossiers APB le savent parfaitement : pour eux, un onze dans un grand lycée parisien sera classé devant un treize dans un lycée de banlieue défavorisée.

Il n'y a pas besoin de connaître le fonctionnement de notre société très en profondeur pour deviner que cette différence va jouer en faveur des catégories sociales déjà les plus favorisées.

Si on augmente la part du contrôle continu dans le bac, on brise son uniformité. Il n'y aura plus « le bac S », il y aura « le bac S de Louis-le-Grand et Henri-IV » et « le bac S du 9-3 ». D'ailleurs, cette inégalité est déjà en place, puisque ce qui compte vraiment, ce n'est pas le bac, c'est APB.

Si on y réfléchit deux secondes, le bac et APB, c'est la sélection en fin de secondaire pour l'entrée dans le supérieur, ça devrait être la même chose.

Comment pourrait-on refondre l'ensemble du système ? Voici ma proposition.

Le principe derrière ma proposition est de favoriser le contrôle continu tout en maintenant une évaluation nationale anonyme, et maximiser la souplesse du système et d'utiliser une notation globalement croissante. Ça serait probablement très coûteux à mettre en place. Combien par rapport aux épreuves finales actuelles, je ne sais pas l'évaluer. Mais une chose est sûre : on ne peut pas à la fois faire des économies et améliorer la qualité des examens. Il faut se donner les moyens d'un enseignement de qualité.

Pour commencer, chaque point du programme, dans toutes les filières et à tous les niveaux, est redéfini en une « compétence », avec une définition précise de la manière de l'évaluer. Tous les élèves qui entrent dans le secondaire ont dès le début une note (sur vingt, pourquoi changer ce qui marche bien) dans toutes les compétences, initialement 0 (qui n'a donc rien d'infamant). Pour bien préciser ce que je veux dire : un élève en septembre de sa classe de sixième a déjà une note en « raisonnement par récurrence », « usage du génitif en russe », « causes économiques de l'effondrement de l'URSS », etc. Il a 0, parce que c'est quelque chose qu'il n'a pas encore traité, et c'est parfaitement normal. Il a aussi des notes sur le programme de sixième, bien sûr, qui vont très bientôt ne plus être 0.

Mettre un tel système en place il y a quelques années aurait été très difficile. Avec les technologies actuelles, c'est assez facile. Le faire dans le respect de la sécurité et de la confidentialité des données personnelles est plus délicat, mais pas fondamentalement irréalisable.

Tout au long de l'année, des contrôles sont organisées. Les sujets sont nationaux, le programme précis est annoncé à l'avance. Par exemple, dès le premier septembre, on sait qu'il y aura le treize avril une épreuve avec des exercices de trigonométrie qui exigera d'être familier (au moins 15) avec la notion de repère et le théorème de Pythagore. Les élèves s'y inscrivent par le biais de leurs profs.

Les contrôles sont corrigés de manière anonyme, de préférence avec double correction. Des copies numérisées et distribuées de manière électronique peuvent rendre cette procédure assez légère, à condition que l'ergonomie du système soit bien pensée. Les copies reçoivent une note sur vingt dans chacune des compétences évaluées.

Les profs peuvent accorder des dispenses à leurs élèves pour les inscrire à des contrôles malgré une compétence requise insuffisante, s'ils estiment que l'élève vaut mieux que le niveau qu'il a officiellement, et demander que ce niveau soit rééavlué lors du contrôle. Ainsi, un élève qui aurait malencontreusement raté ses contrôles sur le théorème de Pythagore sera autorisé à s'inscrire au contrôle de trigonométrie, et recevra une note sur Pythagore en plus des notes normales dans ce contrôle.

Le niveau à une compétence est calculé comme une sorte de moyenne sur les notes obtenues, de manière à privilégier le progrès. Un exemple de tel calcul pourrait être : dès qu'il y a plus de trois notes, prendre les trois meilleures et toutes celles qui ont été obtenues chronologiquement après, éliminer jusqu'au quart des plus mauvaises notes et faire une moyenne arithmétique de celles qui restent. Ainsi, un élève en progrès constant serait évalué sur ses trois dernières notes, qui seraient aussi ses trois meilleures, et un accident ponctuel ne compterait pas. On peut envisager que chaque compétence définisse, si nécessaire, son propre mode de calcul.

Un diplôme n'est rien de plus qu'une liste d'exigences sur des compétences. Le bac pourrait être défini sans changement comme la moyenne des compétences du programme de première et terminale. Mais la souplesse du système permet de définir des conditions plus strictes, comme le fait d'interdire les lacunes trop graves.

Comme les élèves peuvent suivre leurs notes en continu, ils savent exactement ce qui leur manque pour obtenir le diplôme, ils peuvent organiser leurs révisions et s'inscrire aux contrôles nécessaires.

Pour APB, les gens qui font la sélection ont accès aux notes, ou à une partie des notes. Ils doivent juste faire attention au fait qu'il reste quelques mois de cours et que tout le monde n'a pas fait contrôler ses compétences dans le même ordre. Pour les formations qui sont en dehors du système, les élèves peuvent demander des relevés officiels attestant un certain niveau dans un jeu de compétences.

Je vois à ce système un gros avantage : il s'agit d'une infrastructure générique, qui peut s'appliquer à des diplômes très différents. Il ne préjuge en rien du contenu des programmes ni du niveau d'exigence.

Il n'impose rien non plus sur l'organisation des études elles-mêmes. Les élèves pourraient être répartis en filières, niveau et classes comme actuellement, les classes inscrites collectivement à des contrôles tout au long de l'année, les conseils de classe trimestriels pourraient se dérouler en comparant les notes en début et en fin de trimestre pour calculer une moyenne provisoire. Bref, on peut tout faire comme avant. Mais les établissements peuvent aussi essayer d'innover : scolarité en quatre ans, cursus double, etc., sont possibles par simple décision locale, et conduisent au même diplôme égalitaire. C'est une qualité, car ça évite de faire un grand bond dans l'inconnu tout en permettant de chercher de meilleures méthodes d'organisation.

Cette proposition n'est certainement pas parfaite. Je suis sûr que les spécificités de certaines disciplines exigent des exceptions considérables auxquelles je n'ai pas pensé. Des commissions composées d'enseignants de tous les domaines seraient indispensables pour fixer les règles précises. Mais je pense que ça donne les grandes lignes d'un système qui peut marcher assez efficacement et être bien plus juste et efficace que le système actuel ou tout ce qui est évoqué dans les réformes en vue.

Publié le 20 février 2018