L'implicite de la double distributivité

J'ai souvent remarqué que certaines personnes ont du mal à progresser en mathématiques en partie parce qu'elles ne pensent pas aux notions de la bonne manière. Ce qui, au fond, n'est guère étonnant, puisque, en y regardant de plus près, on constate que cette bonne manière d'y penser n'est pas enseignée, au moins en général dans le système français. Je vais essayer de commencer à y remédier sur un exemple.

Je vais donc m'adresser à un hypothétique élève arrivant en début de première générale spécialité mathématiques (ce qu'on appelait il y a peu première S, ou à la rigueur ES) qui souhaite la réussir avec brio. Je parlerai de l'intuition qu'il faut avoir pour manipuler les objets efficacement, et je m'appuierai sur l'exemple de la double distributivité, parce que c'est à la fois une technique très utile et un problème qui permet d'introduire de nombreuses notions, et parce que c'est hélas quelque chose qui manque à de nombreux élèves au niveau première.

Je m'adresserai à cet élève hypothétique en la ou le tutoyant. Et j'utiliserai le pronom « vous » pour m'adresser à toi et tous tes camarades dans la même situation. Cependant, je pense que ce que je vais dire peut intéresser ceux qui ont à expliquer ces notions aux élèves, ainsi que ceux qui s'intéressent aux mathématiques en général et peuvent ne pas avoir pensé en ces termes à certaines choses que je vais dire.

Je dis « la » bonne manière, mais c'est un abus de langage : il est presque certain qu'il y ait d'autres bonnes manières d'y penser, peut-être même de meilleures que ce que je vais évoquer. Mais ce dont je suis à peu près sûr, c'est que ce que je vais raconter est plutôt meilleur que ce qui se fait actuellement souvent dans l'enseignement français.

Ce qui manque dans les explications, ce sont des éléments qui permettent de mieux bâtir une intuition et de relier les notions entre elles. Les personnes déjà l'aise avec le calcul ont certainement développé cette intuition par elles-mêmes, mais elles ne l'ont souvent pas formalisée. Ces idées restent implicites, et donc ne sont pas traduites dans l'enseignement, les élèves devant alors les redécouvrir par eux-mêmes. Je vais essayer d'expliciter cet implicite.

Avant de commencer, je tiens à rendre hommage à Grant Sanderson et sa chaîne YouTube 3Blue1Brown, où il publie des vidéos de vulgarisation des mathématiques en insistant énormément sur l'intuition, avec une démarche qui me semble aller vraiment dans la bonne direction. Son style a été une inspiration précieuse pour cet article.

Ce texte est long. Bien trop long pour être la base d'un cours, même réparti sur toutes les années où ce serait pertinent. Il est long parce que je suis bavard et que j'aime bien faire des digressions, et aussi parce que je veux mettre tous les éléments auxquels je pense qui peuvent être utiles. Je dois également passer un certain temps à déconstruire certaines formes d'intuition que je pense stériles, et à reconstruire en repartant de très tôt. Je pense cependant que les éléments que je développe peuvent être utilisés pour faire évoluer la manière de présenter certaines notions de manière à les rendre plus digestes, sans avoir à gonfler l'horaire d'enseignement.

En lisant, tu te diras souvent « mais je le sais déjà, ça », et aussi « c'est évident ». C'est difficilement évitable, je ne te connais pas personnellement. Ce que j'espère, c'est que certains passages, même de petits détails, te feront noter « tiens, je n'y avais jamais pensé de cette manière ». Chaque nouvelle manière de penser à une notion est une chance d'avoir le déclic qui éclaire tout le voisinage.

Je parlerai aussi, aux quelques moments où c'est pertinent, de la manière d'apprendre : comment consolider la compréhension nouvellement acquise pour en faire une compétence en laquelle tu peux avoir confiance.

Il y a fort à parier que certaines parties t'échappent en première lecture. C'est normal, mon texte est touffu. Mais si tu as plus tard les déclics que j'espère, tu verras peut-être qu'en seconde lecture tout devient plus clair, provoquant de nouveaux déclics.

Bon courage !

(Désolé, la présentation des formules est moche parce que ce document est rédigé initialement en Markdown pour produire du HTML et du PDF.)

L'énoncé du problème

On pose la question :

Développer (2x+3)(5−4x), où x est un nombre réel quelconque.

La réponse attendue est:

(2x+3)(5−4x) = −8x²−2x+15

Pour espérer suivre le cours de mathématiques niveau première puis terminale confortablement, je pense que tu as besoin d'être capable de faire ce calcul directement, sans presque jamais te tromper et rapidement. Mais pas comme un singe savant qui a appris un truc, comme un mathématicien qui comprend parfaitement ce qu'il fait et a assez d'entraînement pour le faire sans hésiter.

Comment travailler les maths

Quand tu apprends une nouvelle méthode, tu vas probablement prendre un exercice et le résoudre en suivant la démarche du cours, avec de nombreuses hésitations au long du chemin. Et arrivé au résultat juste, tu te dis « c'est bon » et tu passes à la suite. Non ? Ce n'est hélas pas suffisant.

Pour faire comprendre les choses, j'aime bien faire l'analogie avec un sport, car de ce point de vue, le cerveau marche pas mal comme un muscle. Et pour commencer, je rappelle qu'on ne progresse pas en course en regardant le prof d'EPS courir autour du terrain. Il faut courir soi-même, c'est l'effort répété qui renforce le muscle.

De plus, si on pense à un sport assez technique, qui demande d'apprendre des gestes précis, l'entraîneur insiste probablement souvent : n'essaie pas d'aller vite tout de suite, force-toi à faire le mouvement correctement, recommence pour corriger tes erreurs mêmes minimes. Et une fois que les muscles et les nerfs seront habitués aux sensations du mouvement, les hésitations disparaîtront et la vitesse viendra naturellement.

C'est aussi comme ça qu'on apprend à écrire : il faut faire des lignes et des lignes de lettres, soigneusement formées.

Et c'est comme ça qu'il faut aborder les maths, et en particulier le calcul : commencer par les exercices types de base, les faire soigneusement, recommencer jusqu'à ce que les erreurs soient assez rares, et encore jusqu'à ce que la vitesse vienne.

Pour ça, il faut une quantité illimitée d'exercices disponibles et un correcteur dévoué. Heureusement, pour le genre d'exercices dont il est question ici, il est assez facile de simplement inventer les données, et on peut vérifier le résultat final par exemple en utilisant une calculatrice graphique. On peut également avoir recours à l'excellent site web [wa][WolframAlpha]. À défaut, on peut travailler en groupe et pratiquer la correction mutuelle, et en dernier recours demander au professeur.

Qui a décidé les règles de calcul ?

J'en viens aux mathématiques proprement dites, et je vais commencer par quelques questions philosophiques de base.

Depuis des années, on vous apprend des règles de calcul. Si vous les suivez, c'est juste, vous avez 20, si vous ne les suivez pas, ou pas correctement, c'est faux, vous avez 0. Mais qui a choisi les règles, et pourquoi ?

Ma réponse courte est que les règles se sont imposées d'elles-mêmes, mais c'est un peu plus subtil que ça.

On peut voir les mathématiques comme une gigantesque partie de Badaboum, où il faut empiler des pièces de formes variées et où celui qui provoque l'effondrement a perdu. Mais c'est une partie en collaboration : nous cherchons ensemble à bâtir un édifice aussi beau et grandiose que possible, et si ça s'effondre, nous avons tous perdu.

On peut constater la solidité de l'édifice quand il s'accorde avec la réalité. Par exemple, les sciences physiques nous donnent des formules pour calculer le comportement d'objets concrets. Si le résultat fourni par le calcul est conforme au résultat observé par l'expérience, ça confirme non seulement la formule donnée par le physicien, mais également la rigueur du calcul mené par le mathématicien.

Si ça ne colle pas, en revanche, il faut savoir quel bout est à blâmer : la physique ou bien les mathématiques ? C'est pourquoi pour savoir si les mathématiques risquent de s'effondrer, on cherche plutôt des indices intérieurs : si les calculs ne collent même pas entre eux, si on arrive à des résultats différents en faisant le même calcul de plusieurs manières, etc.

En résumé, si on arrive à démontrer quelque chose de manifestement ridicule, absurde, comme 0=1, on a perdu.

Quant à savoir ce qui décide si le raisonnement tient, ce qui marche et qui ne marche pas… Qu'est-ce qui décide qu'une pièce plate tient en équilibre tandis qu'une pièce pointue tombe ? Ce sont des questions philosophiques auxquelles je n'ai pas de réponse satisfaisante. Heureusement, la philo c'est l'an prochain, et on ne posera pas de questions aussi difficiles.

Mais je n'ai pas fini de répondre à la question. Je reprends mon analogie sportive, ou ludique d'ailleurs : il ne suffit pas de connaître les règles du jeu pour être bon, il faut aussi maîtriser les techniques qui marchent et éviter celles qui ne marchent pas. Dans certains sports, quelques centimètres de différence dans le placement de la main ou de la jambe peuvent faire la différence entre la victoire ou la défaite. Inculquer la bonne position de la main, de la jambe, fait aussi partie du rôle de l'entraîneur.

Les bonnes techniques ne sont pas écrites dans les règles, mais elles sont induites par les règles. Personne ne les a décidées, on les a seulement constatées : tel athlète faisait tel mouvement et gagnait souvent, donc on l'a imité. Au fil du temps, les entraîneurs ont accumulé une somme de connaissances des meilleures techniques et les enseignent à leurs élèves.

On voit souvent dans la fiction le cliché des écoles d'arts martiaux où sont transmises des techniques ancestrales extrêmement pointues et puissantes. En mathématiques, ça fait plus de vingt-cinq siècles que nous peaufinons nos techniques. Donc elles sont assez raffinées et efficaces, et il y a beaucoup à apprendre. (Et puis, c'est un secret, les titulaires de la médaille Fields sont capables d'envoyer des boules d'énergie avec leurs petits doigts.)

Enfin, le cadre scolaire exige que nous utilisions tous à peu près les mêmes techniques. Donc même si parfois il y aurait plusieurs méthodes, plusieurs manières de poser les problèmes et de les résoudre, aussi efficaces les unes que les autres, l'institution va insister pour qu'on en choisisse une en particulier.

Lire une formule

Venons-en à la pratique. Mais il va falloir remonter loin. Prenons une formule simple :

2+2×2=6

Une formule n'est pas juste une suite de symboles mathématiques, de même qu'une phrase n'est pas juste une suite de mots. Les mots doivent respecter une structure, la grammaire, pour former une phrase compréhensible. Au collège, vous avez appris à analyser cette structure, à trouver le verbe, le sujet, les compléments et voir comment ils s'organisent. La structure peut être assez compliquée : il peut y avoir des propositions subordonnées dans des propositions subordonnées qui elles-mêmes contiennent des groupes nominaux formés de noms et d'adjectifs, etc.

Analyser une phrase, c'est trouver les relations logiques entre les mots. On peut par exemple les représenter entourant les groupes avec des patatoïdes (une courbe fermée vaguement régulière, comme une pomme de terre ; j'aime bien ce mot). On peut aussi y penser comme à un arbre généalogique : un parent avec deux branches pour deux enfants ressemble à un verbe avec une branche pour le sujet et une branche pour le complément.

Cette structure d'arbre logique (pas généa-) est très importante, et elle se retrouve telle quelle dans les formules mathématiques. De plus, les formules ont besoin d'être extrêmement précises, de ne pas laisser de place à l'ambiguïté, donc quand on a l'habitude, construire l'arbre à partir de la formule ne demande pas de réflexion.

Soit dit en passant, quand on programme un ordinateur (ou une calculatrice, qui n'est qu'un ordinateur limité) pour manipuler une formule, c'est la structure de l'arbre qui est utilisée dans sa mémoire, pas le texte de la formule.

Donc, revenons à notre 2+2×2=6, et cherchons à l'analyser. Pour la première étape, c'est facile parce que l'analogie avec le français marche très bien : il y a un verbe dans la formule. Ce verbe, c'est le symbole =, et il est presque synonyme du verbe être : 2+2×2 est égal à 6. Il y a d'autres verbes : <, ∈, ⟺, etc., mais = est de loin le plus important.

Il n'y a rien à analyser dans 6. En revanche, dans 2+2×2, il faut décomposer. Le bout suivant à regarder, c'est le +, qui correspond un peu à la conjonction de coordination et : on ajoute 2 et 2×2. Et pour finir, le × est une opération au même titre que + et marche pareil pour la grammaire.

Les priorités

Attention cependant, je suis passé trop vite sur une grosse subtilité. Si on reprend la formule :

2+2×2

Il y a deux manières de la comprendre :

2  +  2×2
2+2  ×  2

Et de même

2×2+2

pourrait se comprendre :

2  ×  2+2
2×2  +  2

On peut avoir le même phénomène en français, par exemple sur la carte d'un restaurant qui vous proposerait « fromage ou dessert et café » : si vous prenez le fromage, avez-vous droit au café ? L'ambiguïté est alors levée par la présentation de la carte, ou alors par la ponctuation : « fromage ou dessert ; et café », et en dernier recours par le bon sens et les habitudes.

En mathématiques, on ne peut pas compter sur le bon sens ou les habitudes pour distinguer deux formules similaires, il faut donc établir des règles de présentation, de ponctuation et de lecture précises.

La règle que vous avez apprise, c'est que la multiplication a priorité sur l'addition, qu'il faut donc faire la multiplication en premier. Ça répond à la question posée : les bonnes lectures sont respectivement :

2  +  2×2
2×2  +  2

On peut dire que le × colle plus fort les nombres ensemble que le +.

Et c'est là que je vois un grave problème dans l'explication. Parce que quand on dit que quelque chose a priorité, on a tendance à penser qu'elle est plus importante. Or ici, c'est plutôt le contraire, c'est le + qui est le plus important dans cette formule.

D'ailleurs, il est vrai que pour calculer la valeur de cette formule il faut s'occuper du × en premier, mais pour analyser la formule, c'est le + qu'il faut regarder en premier, et c'est vrai également pour de nombreuses tâches, comme la dérivation, que tu apprendras bientôt.

Jusqu'à il y a quelques années, avant que tout le monde ait un smartphone surpuissant, les gens normaux (c'est à dire pas les collégiens et lycéens) utilisaient des calculatrices qu'on appelle « quatre opérations » (même si en pratique elles en ont un peu plus). Par rapport aux calculatrices scientifiques, elles n'ont presque aucune mémoire, donc elles font les calculs immédiatement.

En conséquence si on tape « 2+2×2= », dès qu'on appuie sur ×, elles calculent le résultat de 2+2, font la multiplication avec ce 4 et répondent finalement 8. Il n'est pas possible de leur faire respecter les priorités (mais elles ont une touche supplémentaires pour faire des sommes de résultats).

Pour les ingénieurs, il existait une autre gamme de calculatrices, celles qui travaillent en notation polonaise inversée, RPN pour les anglophones paresseux. Dans ce système, on donne plusieurs nombres successivement à la calculatrice, et quand on appuie sur une touche d'opération, elle calcule avec les deux derniers nombres et met le résultat à la place. Donc pour calculer 2+2×2, on tape d'abord « 2 2 2 », puis ×, qui prend les deux derniers 2 et les remplace par 4, et enfin +, qui prend le premier 2 et ce 4 pour répondre 6. Pour donner priorité à l'addition, on tape à la place « 2 2 + 2 × », je laisse en exercice le soin de le vérifier.

Pour ceux qui y sont habitués, la notation polonaise inversée est très pratique, car elle permet de faire n'importe quel calcul avec un minimum de touches. Et au fond, c'est dans cet ordre que doit se dérouler le calcul, on ne peut pas faire autrement que de calculer les résultats intermédiaires avant le résultat global. Mais c'est avoir la tête dans le guidon, c'est se focaliser sur la technique de calcul plutôt que sa logique.

Quand ton professeur te disait que pour calculer 2+2×2 il faut calculer 2×2 en premier, il pensait déjà à l'exercice qu'il allait te donner au contrôle, « calculer 5+3×7 », et il te donnait la recette pour le résoudre. Mais il ne pensait pas que bientôt, dès qu'il y aurait des lettres dans le calcul, il ne suffirait plus de calculer, il faudrait absolument comprendre la structure de la formule.

Je pense qu'il serait plus efficace d'enseigner dans l'autre sens : dire que le + est l'opération principale de la formule. Le résultat de la formule est le résultat de l'opération principale, et pour le calculer il faut commencer par calculer les nombres qu'on doit additionner, ce n'est plus qu'une question de bon sens, comme se rendre compte qu'il faut enlever ses chaussures avant ses chaussettes.

Pour le dire de manière provocante : on enseigne aux élèves à lire les formules en notation polonaise inversée, il serait temps qu'on arrête.

Les parenthèses

Je viens d'expliquer en détail que « 2+2×2 » doit se comprendre comme « 2  +  2×2 » plutôt que comme « 2+2  ×  2 ». Ça amène naturellement la question : comment est-on censé exprimer le second ?

On ne peut pas compter sur l'espacement comme je l'ai fait, ce n'est pas robuste : as-tu laissé cet espace plein de blanc correcteur pour séparer les bouts de la formule ou bien pour ne pas attendre que le blanc sèche ?

Si on écrit avec un stylo plutôt qu'un clavier comme moi maintenant, on peut entourer le 2+2. C'est facile, c'est clair, ça marche parfaitement.

Si on doit exprimer un calcul plus compliqué, on peut avoir besoin d'entourer plusieurs morceaux de formule. Dans ce cas, il est très important d'observer ce fait : les patatoïdes qui entourent les morceaux de formule ne peuvent pas se croiser. Soit ils sont complètement séparés, soit l'un est complètement à l'intérieur de l'autre.

Entourer les bouts de formule marche bien, mais c'est un peu fastidieux, il faut être très soigneux pour que ça ne devienne pas illisible, et avec un clavier ce n'est vraiment pas pratique. Heureusement, les formules s'étendent horizontalement mais pas verticalement, donc il suffit de dessiner les parties extrêmes des patatoïdes, et ça devient donc des parenthèses : quand on écrit « (2+2) », c'est une manière commode d'écrire « 2+2 » entouré.

Quand il y a plusieurs groupes entourés, il faut faire attention de bien montrer quelles parenthèses vont ensemble. Pour ça, on conseille souvent de changer leur forme, représenter certaines par des crochets. On peut aussi jouer sur la taille, de grandes parenthèses pour entourer un gros groupe, des petites pour entourer un petit groupe.

La condition que les groupes ne se croisent pas se traduit par le fait que les parenthèses doivent être équilibrées : « …[…(…)…]… » est correct, « …[…(…]…)… » ne l'est pas. C'est toujours la dernière parenthèse qu'on a ouverte qu'il faut fermer en premier. Comme des objets empilés les uns sur les autres : on ne peut reprendre le premier qu'on a posé et qui est tout en bas de la pile qu'après avoir repris tous les autres.

L'associativité

J'ai expliqué comment comprendre « 2+2×2 », qui est pareil que « 2+(2×2) », et « (2+2)×2 ». Mais que faire quand on a plusieurs fois la même opération ? Comment lire « 2+3+4 » ?

Celui-là, il est facile, parce que si on le comprend comme (2+3)+4, on trouve 5+4=9, et si on le comprend comme 2+(3+4), on trouve 2+7=9 aussi.

Quand on n'a que des additions, on va trouver le même résultat quel que soit l'ordre dans lequel on calcule et additionne les termes. Les mathématiciens disent que l'addition est commutative et associative. Techniquement, on considère que c'est la première décomposition qui est la bonne, mais du point de vue de l'intuition, il vaut mieux y penser comme une seule addition avec de nombreux termes.

C'est pareil pour la multiplication : 2×3×4=24 quel que soit l'ordre dans lequel on multiplie les nombres. La multiplication est également commutative et associative, et on peut y penser comme une seule multiplication de trois nombres.

Et les soustractions dans tout ça ?

Il reste à parler des soustractions. Et des nombres négatifs, parce que ça va ensemble. Un nombre négatif, c'est un nombre qui fonctionne à l'envers. Faire « moins trois » pas vers l'avant, c'est faire trois pas en arrière.

Mettre un moins devant quelque chose, c'est retourner son effet.

Si on retient ça, on a gratuitement la règle des signes, puisque quand on retourne deux fois de suite, on revient au point de départ.

Une soustraction, c'est une addition dont un des termes, celui de droite, fonctionne à l'envers : on part du cinquième étage, si on monte de trois étages, on arrive au 5+3=8, mais si on descend de trois étages, on arrive au 5−3=2. C'est pareil que de dire qu'on est monté de « moins trois » étages : 5−3 veut dire la même chose que 5+(−3).

Et si on fait le contraire : on part du 3 et on descend de 5 ? Cette fois-ci, c'est le 5 qui est à l'envers et le 3 qui est à l'endroit, donc tout est retourné par rapport à la situation précédente, donc le résultat lui-même est retourné : c'est −2.

L'intérêt de faire les choses de cette manière, c'est que tout marche de la même manière : toutes les règles qu'on a apprises pour l'addition vont marcher presque pareil pour la soustraction, il faut juste regarder quels bouts sont à l'envers.

Il reste à expliquer ce qui se passe quand on a plusieurs soustractions, comme dans « 4+5−6+7−8+9 ». La règle choisie est que le − ne retourne que le nombre qui est immédiatement à sa droite, ici le 6 et le 8. Il faut donc comprendre cette formule comme une addition de six termes, dont deux sont à l'envers. On peut changer l'ordre, il faut juste garder les − devant le 6 et le 8.

Bien sûr, ceci se combine avec les règles de priorité : 2−3×4+5 est l'addition de trois termes, 2, 3×4 à l'envers et 5. Et on peut mettre des parenthèses pour que le − agisse sur tout un groupe : 2−(3×4+5).

Un petit mot sur la division

Tout comme la soustraction est une addition dont le second terme marche à l'envers, la division est une multiplication dont le second terme marche à l'envers. Mais du point de vue des notations, on a adopté une convention différente : on représente la division par un trait horizontal, la « barre de fraction ». Dans ce cas, la disposition de la formule ne laisse pas d'ambiguïté sur le groupement des termes.

Il faut faire attention à ce que rien ne dépasse du trait de fraction. C'est très important pour les − : soit un − est devant la fraction, et donc il renverse l'ensemble de la fraction, et dans ce cas on est censé l'aligner avec la barre de fraction elle-même ; soit un − est au début du numérateur ou du dénominateur (respectivement le haut et le bas), et dans ce cas il est à prendre avec le reste de ce bout de formule (et il risque de ne concerner que son début). Un − à moitié sur et à moitié devant la fraction serait ambigu, et à ce titre est strictement interdit.

  3+4
− ─── = − [(3+4) ÷ 5]
   5

−3+4
──── = [(−3)+4] ÷ 5
  5

− 3+4
  ─── ???
   5

Sur les calculatrices scientifiques (mais pas les modèles les plus récents, qui dessinent les formules comme avec un stylo), la division se note avec /, et dans ce cas ça marche par rapport aux × (qui sont souvent notés *) comme les − marchent par rapport aux + : le bout de formule immédiatement à droite du / divise au lieu de multiplier. Dans le doute, mettre des parenthèses, la calculatrice ne t'en voudra pas.

Pour bien assimiler tout ça, je pense qu'on peut procéder ainsi : inventer une formule compliquée, dessiner les groupes avec des accolades ou des patatoïdes, calculer les valeurs des différents morceaux jusqu'à avoir le résultat global. Et pour finir, taper la formule dans une calculatrice et regarder si elle est d'accord avec le résultat.

Recommencer jusqu'à ce qu'on y arrive facilement, jusqu'à ce que le cerveau ait appris à voir la structure de la formule du premier coup d'œil.

C'est quoi ces lettres ?

Avec toutes ces explications, on devrait pouvoir comprendre (2+3)×(5−4), ce qui commence à ressembler à la formule de la question. Pour alléger les notations, on se permet de ne pas écrire le ×, donc on peut écrire (2+3)(5−4), c'est pareil. (On n'a évidemment pas le droit entre deux nombres écrits en chiffres : 22 n'est pas la même chose que 2×2 !)

Mais il y a ce x qui nous embête. Que veut-il dire, d'où sort-il ?

Pour commencer, je tiens à souligner qu'on vous le dit, ce que c'est que ce x : c'est le petit bout de phrase de l'énoncé dont vous ne tenez jamais compte, « où x est un nombre réel quelconque ». Mais il va falloir y revenir.

Un jour, peut-être, un mathématicien a remarqué que 2×(3+4) donne le même résultat, 14, que 2×3+2×4, ce qu'on note avec un =. Et il a probablement remarqué d'autres égalités :

Il a généralisé, et il a communiqué sa découverte : « [ ]×(3+4)=[ ]×3+[ ]×4 : mettez n'importe quel nombre, le même, dans les trois cases, et l'égalité est vraie. »

Ça marche. Mais ensuite, il s'est rendu compte qu'on pouvait remplacer le 3 et le 4 par n'importe quel nombre, du moment qu'on met bien le même aux deux endroits à chaque fois. Mais comment le communiquer ? « [ ]×([ ]+[ ])=[ ]×[ ]+[ ]×[ ] » ? On ne voit plus quelles cases doivent contenir le même nombre.

On pourrait utiliser des couleurs, mais ce n'est pas pratique, et discriminatoire envers les daltoniens. On peut mettre un petit symbole dans les cases, le même quand les cases doivent contenir le même nombre. Tant qu'à faire, pas la peine d'inventer des symboles, on a déjà tout l'alphabet à disposition. Et on peut arrêter d'imaginer que le lecteur va effectivement écrire des nombres dans les cases, donc mettre juste la lettre, sans laisser de place ni dessiner de cadre.

On en arrive donc, en prenant les trois premières lettres de l'alphabet, à « a×(b+c)=a×b+a×c ». Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'en mettant n'importe quel nombre à la place des trois lettres, forcément le même quand c'est la même lettre, on arrive à deux calculs qui donnent le même résultat de part et d'autre du =.

Pour être rigoureux, il faut préciser ce que représentent les lettres. On écrira par exemple « Pour tous nombres réels a, b, c, on a a×(b+c)=a×b+a×c ». Ça permet de préciser par la même occasion quel genre de nombres on a le droit de mettre : parfois, la formule ne marche qu'avec des nombres positifs ou qu'avec des nombres entiers, c'est là qu'on l'indique.

Quand un exercice demande de démontrer une égalité entre deux formules, en général, on s'attend à un raisonnement qui marche avec toutes les valeurs possibles (et si ce n'est pas le cas, on le précise). Le faire sur un exemple, ou même quelques uns, n'est pas suffisant. Il faut donc appliquer des règles de calcul qui marchent à tous les coup. On les apprend en cours, celle ci-dessus est un exemple.

La simple distributivité

Cette formule que je viens d'évoquer a×(b+c)=a×b+a×c, qui est valable en mettant à la place de a, b, et c n'importe quel nombre, et même plein de trucs qui se comportent comme des nombres (ça marche si b et c sont des vecteurs, par exemple), s'appelle la distributivité de la multiplication sur l'addition, parce qu'en quelque sorte on a distribué la multiplication par a aux deux termes de l'addition b et c.

Mais que veut dire cette formule exactement ? On peut la voir de plusieurs manières, mais j'aime bien celle-ci :

     b          c
 ┌───────┬─────────────┐
 │       │             │
a│       │             │
 │       │             │
 └───────┴─────────────┘

On voit deux rectangles collés, tous les deux de hauteur a, et l'un de largeur b, l'autre de largeur c (d'autres parlent de la longueur et la largeur du rectangle, ne nous laissons pas enfermer dans les mots). Calculons les aires. Pour un rectangle, elle se calcule en multipliant la hauteur par la largeur. Donc l'aire du rectangle de gauche est a×b et celui de droite fait a×c.

On peut aussi voir un seul grand rectangle de largeur b+c, donc d'aire a×(b+c). Mais on peut choisir de la calculer en additionnant l'aire des deux petits rectangles, ce qui donne a×b+a×c. Et comme c'est le même rectangle, donc la même aire, ces deux nombres sont égaux.

Donc a×(b+c)=a×b+a×c.

Le raisonnement géométrique marche pour des longueurs, donc des nombres réels positifs. Et les règles de calcul pour les autres sortes de nombres sont choisies de sorte que que ça continue à marcher.

Mais il est bon d'avoir plusieurs formulations en tête. En particulier, la formulation mécanique est intéressante : quand on a une multiplication avec un des termes qui est une addition (ou une soustraction, on a vu que c'était pareil), la multiplication est distribuée sur chacun des termes de l'addition. On réécrit l'addition avec tous ses termes, mais en insérant la multiplication dans chacun.

(Le paragraphe précédent est court, mais il est important, puisqu'il dit comment faire le calcul en pratique.)

Manipuler une formule

Nous savons maintenant que a×(b+c)=a×b+a×c pour tous nombres a, b, c. Mais comment l'utiliser ?

Imaginons qu'on nous demande de simplifier 2x−3/x+(5(2x+4)−7)/3.

J'allais oublier de préciser : … où x est un nombre réel non nul quelconque. Mais tu avais deviné.

Avec de l'habitude, on remarque qu'il y a une multiplication sur une addition : 5(2x+4). Dit autrement, on reconnaît le membre de gauche de la formule de simple distributivité, avec a↔5, b↔2x et c↔4 (↔ n'est pas un symbole mathématique officiel). Et donc on sait que ce bout de formule peut également s'écrire 5×2x+5×4.

Si on a deux fois le même nombre écrit de deux manières différentes, 5(2x+4) et 5×2x+5×4, et qu'on fait le même calcul par dessus, on arrive au même résultat. Or la formule de départ, c'est justement un calcul autour de 5(2x+4) ; donc on écrit le même calcul autour de 5×2x+5×4 et c'est égal.

2x−3/x+(5(2x+4)−7)/3 = 2x−3/x+(5×2x+5×4−7)/3

En pratique, on fait ça directement : on voit la situation de distributivité à l'intérieur de la formule, on applique la transformation sur place, sans toucher au reste. On peut y penser comme un échange standard en mécanique : on enlève la pièce défectueuse, on met une pièce neuve à la place. Le reste de la machine ne bouge pas.

Attention, il y a une double subtilité. Regardons la formule 2×5x+5t. On voit 5x+5t, et on a envie de le transformer en 5(x+t). Mais ça ne marche pas, parce que les groupes dans la formule de départ son (2×5x)+(5t), et que pour isoler le 5x+5t il faudrait séparer le 5x du 2×, et donc changer la structure de la formule. (Dans cet exemple, cependant, on peut réorganiser les termes pour que ça marche ; mais le 2× ne sera pas devant.)

La même subtilité se produit dans l'autre sens : si on part de 3×7(u+v), on a envie de remplacer 7(u+v) par 7u+7v. Mais si on écrit 3× devant, le 3× ne sera collé qu'au 7u, pas au 7v. Il faut donc grouper 7u+7v, l'emballer dans des parenthèses : 3×(7u+7v). Pour reprendre l'analogie avec la mécanique, il faut que la pièce de rechange se tienne ; si elle est formée de plusieurs morceaux qui ne tiennent pas bien ensemble, on l'attache avec une élastique ou on la met dans une boîte.

La double distributivité

On peut maintenant s'attaquer à la double distributivité, c'est à dire la formule qui permet de simplifier (a+b)(c+d), où a, b, c, d sont quatre nombres quelconques.

On peut essayer d'utiliser la même astuce géométrique que plus tôt : un rectangle coupé à la fois en largeur et en hauteur, qui forme donc quatre petits rectangles. (Essaye, et note la formule que tu trouves, tu pourras vérifier si tu as la même à la fin.)

Mais je préfère montrer comment la retrouver par le raisonnement, pour la relier au reste, de manière à ce que les différentes notions se soutiennent les unes les autres dans ton esprit.

Donc, transformons (a+b)(c+d) : une formule où il y a une multiplication dont les deux termes sont des additions.

On se rappelle la simple distributivité, qui parle des cas où une multiplication a un terme qui est une addition. Si les deux termes sont des additions, il suffit de faire semblant de ne pas voir que l'un des deux en est une pour être dans la situation. Faisons semblant de ne pas voir que a+b est une addition, traitons-le comme le a de la formule de la simple distributivité.

En d'autres termes, nous allons distribuer la multiplication par (a+b) à chacun des termes de l'addition c+d, ça donne : (a+b)×c+(a+b)×d.

Ce n'est pas fini. Regardons le bout de gauche, (a+b)×c : c'est encore une situation de simple distributivité. On a échangé la gauche et la droite, mais ce n'est pas grave puisque la multiplication est symétrique. On peut donc l'écrire a×c+b×c, on a l'habitude. Pareil pour la droite : (a+b)×d est pareil que a×d+b×d.

On remet le + qu'il y avait entre les deux, ça donne (a×c+b×c)+(a×d+b×d). J'ai tenu à mettre les parenthèses parce que je colle deux formules entre elles par une addition, il faut préserver la structure. Mais comme l'addition est associative (cf. plus haut), ces parenthèses ne servent pas, donc on termine avec a×c+b×c+a×d+b×d. Et on peut se passer des × : ac+bc+ad+bd.

(Est-ce que c'est ce que tu avais trouvé avec la figure ? Ce n'est pas grave si l'ordre n'est pas le même, c'est une addition.)

Rédigeons le calcul :

(a+b)(c+d) = (a+b)×c+(a+b)×d
           = (a×c+b×c)+(a×d+b×d)
           = ac+bc+ad+bd

Ce que disent ces =, c'est que les formules donnent le même résultat pour toutes les valeurs de a, b, c, d. Et si la première est égale à la deuxième, la deuxième à la troisième, la troisième à la quatrième, c'est qu'elles sont toutes égales.

On a l'habitude d'aligner les = verticalement parce qu'implicitement, c'est toujours la formule de départ, celle qui nous intéresse, qui est à gauche. Quand elle est courte, par exemple juste « A= » ou « f(x)= », on peut la remettre à chaque ligne.

Essayons de résumer la double distributivité en la décrivant par une méthode : quand on a une multiplication entre deux additions, chaque terme de la première addition se retrouve multiplié par chaque terme de la seconde addition, et le tout est additionné.

Formulé ainsi, on peut l'appliquer même quand on a plus de termes : (a+b+c+d)(e+f+g). Avec quatre termes à gauche et trois termes à droite, il y aura 4×3=12 termes au total ; mais peut-être que certains vont se simplifier ensemble à l'étape d'après.

Je fais exprès, à ce point, de ne pas évoquer la soustraction. On se rappelle qu'une soustraction, c'est une addition dont le terme de droite marche à l'envers : ça devrait suffire sans qu'il soit nécessaire d'apprendre de nouvelle règle. Mais j'ai fait exprès de mettre une soustraction dans l'énoncé, pour qu'on puisse vérifier qu'on a bien compris comment les deux règles marchent ensemble.

Résolvons l'exercice

On nous demandait de développer (2x+3)(5−4x). Développer, c'est faire sortir les additions des parenthèses, donc appliquer la distributivité, simple, double ou pire. Le contraire, c'est factoriser. La tâche de développer est purement mécanique : on applique la technique, on arrive au résultat. Pour factoriser, en revanche, il faut de la chance, il faut repérer qu'il y a deux fois le même bout de formule, dans la bonne disposition, et des fois ce n'est pas apparent. Ici, on doit développer, donc c'est facile, et ce n'est que la double distributivité.

Attention, il y a un −. Comme je l'ai expliqué, je n'ai dit comment faire qu'avec des +, mais un −, c'est comme un + qui retourne le terme immédiatement à sa droite. Donc ici, 4x est à l'envers. Il sera toujours à l'envers quand on aura développé, donc il y aura un − plutôt qu'un + devant chacun des termes qui contiennent le 4x.

Ça nous donne :

(2x+3)(5−4x) = 2x×5 − 2x×4x + 3×5 − 3×4x

Il reste à simplifier : 2x×5, c'est une multiplication à trois termes, on fait dans l'ordre qu'on veut, donc on commence par 2×5 qui fait 10, donc 10x. Pareil pour 3×4x qui devient 12x. Et pour 2x×4x, on fait 2×4=8 et on a aussi x×x, dont on sait que ça peut s'écrire x². Donc :

(2x+3)(5−4x) = 10x − 8x² + 15 − 12x

C'est une addition, donc l'ordre des termes n'a pas d'importance, à condition de se rappeler que le − concerne toujours le terme qui est juste à sa droite.

Il reste une petite simplification, entre le 10x et le 12x (et le − qui va avec, ne pas l'oublier !). Si tu as deux pommes plus trois pommes, ça fait cinq pommes, 2+3=5, on additionne les pommes. On additionne les x pareil. Ou on soustrait, toujours pareil.

On peut le faire rigoureusement : 10x−12x, c'est une situation de simple distributivité, mais déjà sous la forme résultat, avec le x qui apparaît aux deux endroits. Donc on peut faire le contraire de développer, factoriser : 10x−12x=(10−12)x. Et pour finir, on calcule 10−12.

Une formule comme ça, on aime bien mettre les termes dans l'ordre de la puissance de x : d'abord les x², puis les x, puis la constante. S'il y avait des x³, on les mettrait en premier.

Donc :

(2x+3)(5−4x) = − 8x² − 2x + 15

C'est ce que j'avais annoncé.

Comment s'entraîner en pratique

J'espère que tu as tout compris. Maintenant, il faut savoir le faire en toute circonstance, pour pouvoir compter dessus tout au long de l'année et au delà.

D'abord, inventer une question : un terme avec un x, un terme constant, dans l'ordre qu'on veut, un + ou un − entre les deux, des parenthèses autour ; un deuxième groupe pareil. Ne pas prendre des nombres trop grands, pour pouvoir les multiplier et additionner de tête.

Ensuite, faire le calcul, comme ci-dessus.

Enfin, vérifier. Par exemple avec une calculatrice graphique : écrire la formule de départ dans la première fonction, le résultat dans la deuxième, demander un tableau de valeur. Si les valeurs sont les mêmes, c'est juste, sinon c'est faux.

Si c'est faux, chercher l'erreur, corriger.

Recommencer. Recommencer jusqu'à ne plus faire d'erreur. Normalement, à ce niveau, tu devrais commencer à remarquer des choses. Essaie de les exprimer avant de lire les exemples. Voici quelques éléments :

(Il y a aussi quelque chose à remarquer quand il y a deux soustractions : l'as-tu vu ?)

Quand c'est bien rentré, essayer de ne pas écrire toutes les étapes. Avec l'habitude, tu devrais pouvoir arriver au résultat directement, de tête. Pour ça, il ne faut pas forcément faire le calcul dans l'ordre où il vient, mais plutôt dans l'ordre où on le veut : d'abord les termes qui vont donner du x², puis les termes qui vont donner du x et enfin les constantes.

C'est comme ça que je mène le calcul en pratique : d'abord les x², donc le 2x avec le 4x, 2×4=8, attention il y a un −, donc −8x² ; puis les x, donc 2×5=10, 3×4=12, attention il y a un −, 10−12=−2, donc −2x ; enfin 3×5=15.

Attention, à chaque fois que tu fais une erreur, il faut recommencer.

Quand c'est bien rentré, il faut acquérir la vitesse. Je propose la démarche suivante, à deux ou plus. Chacun invente dix énoncés et les écrit sur une feuille. Vous échangez les feuilles, retournées. Puis, au signal, vous lancez les chronomètres et vous calculez. Quand vous avez fini, vous arrêtez les chronomètres.

Quand tout le monde a fini, vous ré-échangez les feuilles et vous vérifiez.

Pose-toi comme objectif de faire au maximum une petite erreur sur les dix, le tout en moins de sept minutes. Si tu y arrives, tu te rendras compte que tous les calculs en classe vont devenir beaucoup plus faciles.

En parallèle, il faut s'attaquer à des énoncés un peu plus compliqués, par exemple avec des x² : (2x²+3x−5)(7x−2), et puis avec des fractions comme nombres, et avec des x et des y, etc.

Cette démarche est lourde, au début. Mais les techniques de calcul, ce sont les fondamentaux des mathématiques. On n'arrivera pas à résoudre un exercice compliqué si on ne voit pas les simplifications au premier coup d'œil. En contrepartie, si on a confiance en ses capacités à calculer, tout le reste paraît plus simple. Il faut donc s'entraîner à ce point à chaque fois qu'une nouvelle technique de calcul est apprise : résoudre les équations quadratiques avec le discriminant, dériver un produit, etc. Chaque nouvelle technique viendra plus facilement que la précédente.

Conclusion

Je n'entends pas révolutionner l'enseignement des mathématiques, je suis d'ailleurs souvent dubitatif vis à vis des révolutions, surtout celles contre quelque chose qui marche déjà plutôt bien. Mon but est plus modeste : souligner des points où il pourrait être légèrement amélioré.

L'intuition sur la structure d'une formule est quelque chose qui manque beaucoup. Jamais dans ma scolarité on m'a dit qu'une formule mathématique avait une grammaire qu'on pouvait analyser au même titre qu'une phrase. De même, la plupart des analogies que j'ai développées ne m'ont pas été données dans le cadre scolaire : soit je les ai inventées moi-même, soit je les ai découvertes dans des articles de vulgarisation. Pourtant, elles aideraient probablement beaucoup d'élèves, des élèves qui ont d'autres centres d'intérêt que de lire des magazines consacrés aux maths.

C'est un peu une spécificité française, cette sorte de snobisme : on te donne la recette théorique parfaite, et maintenant débrouille-toi. C'est probablement ce qui a fait le succès du mouvement bourbakiste, certainement une très bonne chose pour la rigueur des mathématiques pointues, mais appliqué à l'enseignement ça a donné les « maths modernes », à beaucoup de point de vue catastrophiques. On retrouve ce snobisme dans des domaines complètement différents, par exemple la rareté des cours d'écriture créative, comme si, au delà de la simple orthographe, il n'y avait pas des techniques qu'on puisse apprendre et transmettre pour aider à construire une bonne histoire.

Si je dois te donner un dernier conseil, cher élève imaginaire, c'est d'essayer de vraiment bien comprendre un point précis du cours. Par exemple la double distributivité avec les explications ci-dessus. De vraiment le comprendre dans ses moindres détails, de persévérer, et de creuser les points qui gardent de l'ombre. Ce noyau de compréhension pourra servir de graine pour comprendre d'autres concepts voisins, et surtout pour construire une confiance en soi.

Bon courage.

Publié le 2 août 2019
Dernière modification le 3 août 2019