Dieu existe, je vais le disséquer
Je pense, donc je suis, donc je veux. Et là maintenant, je veux disséquer Dieu.
Dieu existe, puisque j'en parle. Comment pourrais-je parler de quelque chose qui n'existe pas. Donc, qu'est-ce ?
Dieu est une idée. Je n'ai rien dit, j'ai juste posé le formalisme ; c'est comme si je disais « dans ZFC, Dieu est un ensemble » : dans ZFC, n'importe quoi est un ensemble. Quel genre d'idée ?
Jean Valjean existe. Jean Valjean est un personnage de fiction. Il a une histoire, elle est racontée dans un livre. Il existe encore des éditions originales. Mais la vie de Jean Valjean ne s'arrête pas à ce qui est raconté dans le livre. Jean Valjean est avec les damnés de la Terre. Jean Valjean aurait été dreyfusard. Jean Valjean soutient les gilets jaunes.
(Oui, ma bible fait références aux trivialités de l'actualité. Je parle aux gens de mon époque.)
Jean Valjean est pour le mariage pour tous. Non, Jean Valjean est conservateur, il est contre. Les deux sont vrais. Ce n'est pas une contradiction : Jean Valjean n'est pas forcément cohérent.
Jean Valjean est-il vivant ? En quelque sorte.
Si le soutien de Jean Valjean fait sourire un passant et aide à le faire changer d'avis, on peut dire que Jean Valjean a eu un effet sur le monde réel. Jean Valjean a du pouvoir. Un tout petit peu.
Le Père Noël existe. La preuve : on trouve des cadeaux sous le sapin. Pour exister, pour arriver à passer dans toutes les maisons en une nuit sans se consumer dans l'atmosphère, il possède le corps des parents des enfants sages. (Ma bible maîtrise les codes des réseaux sociaux : insérez ici un gif animé de Supernatural.) Si vos parents font toujours « ho, ho, ho » après le jour de l'an, appelez un exorciste.
Donc Dieu est un personnage de fiction. C'est tout ? Non : il y a des gens qui croient en Dieu. Qu'est-ce que ça veut dire ?
Qu'ils croient que Dieu existe ? Pas la peine, on sait que c'est vrai.
Qu'ils croient que Dieu existe vraiment. Que le monde réel est le monde décrit par la bible. Ils croient qu'ils sont des personnages du monde fictif dont la création est racontée par la Genèse. Ils croient donc être eux-mêmes des personnages de fiction. Croire en Dieu, c'est ne pas croire en soi.
Quand je pense à ce que fait Jean Valjean dans une situation donnée, quand je prête une partie de mon cerveau à Jeal Valjean, je le fais de manière délibérée, en connaissance de cause. Je peux faire faire n'importe quoi à Jean Valjean, mais si les gens qui le connaissent m'y prennent, ils me gronderont. Ils diront que ma fanfic est mauvaise, que Jean Valjean est out of character. Mais je n'ai rien de plus à craindre.
Quelqu'un qui croit en Dieu croit au contraire que ce que pense Dieu peut avoir une influence directe sur sa vie. Il n'a donc pas le choix : il a besoin de deviner ce que pense Dieu. Il doit par nécessité prêter une partie de son cerveau à Dieu.
Donc Dieu a plus de pouvoir que Jean Valjean. Beaucoup plus de pouvoir : le vice-président des États Unis croit gravement en Dieu. Dieu a presque le doigt sur le bouton de l'arme atomique.
On dit que les prières ne sont pas efficaces. Pourtant, si beaucoup d'électeurs prient qu'un politicien change d'avis, il va probablement changer d'avis. La prière a marché.
Non seulement Dieu a du pouvoir, mais ce pouvoir est reconnu officiellement. Dieu a constitutionnellement le droit d'exister. Dieu est mieux protégé que les baleines.
Comment Dieu utilise-t-il son pouvoir ? Il nargue ses enfants avec un fruit alléchant mais les punit quand ils croquent dedans. Il prétend aimer ses créatures, il les a dotées de libre arbitre, mais il exige leur dévotion et menace de les abandonner dans les tourments éternels si elles n'obéissent pas. Il leur donne des jouets mais leur interdit de s'amuser avec. De temps en temps, il les massacre. Il loue les humbles mais défend les puissants. Et surtout il leur interdit de poser des questions. Il les oblige à laisser leur intelligence s'atrophier. Dieu a un comportement abusif.
Si Dieu se comporte ainsi envers ses créatures, les croyants ne peuvent que se comporter de même envers leurs semblables. La violence engendre la violence.
Comme N. K. Jemisin l'a superbement illustré dans les Livres de la Terre fracturée, les forces de l'abus et de l'oppression se propagent un peu comme les contraintes tectoniques. Quand elles ne peuvent pas s'écouler vers le haut, elles s'écoulent vers le bas. Essun, tu es la Jean Valjean de ton monde. N. K. Jemisin a écrit le les Misérables de notre époque, ça lui a valu le prix Hugo, même si ce n'est pas celui de Victor.
Je parle de N. K. Jemisin dans ma bible : est-elle une sainte, une apôtre ? Elle a créé des mondes : c'est une déesse, et Essun est son Ève. (Je suis athée, pas monothéiste.)
N. K. Jemisin est-elle moins cruelle que Dieu ? La vie n'est pas tendre sur le Fixe. N. K. Jemisin t'aime, Essun, mais elle n'est ni omnisciente ni omnipotente : elle doit respecter ton libre arbitre et donc la logique de ton monde.
Dieu prétend être omniscient et omnipotent, mais ce n'est qu'un élément de sa stratégie pour garder les croyants sous sa coupe. Mais c'est vrai qu'il sait tout ce que les croyants pensent.
Dieu est un personnage de fiction qui a débordé de son livre, une idée vivante, une forme de vie quasi-intelligente issue de l'océan de pensée, qui a réussi à gagner une emprise psychologique et émotionnelle sur une large part de la population et se comporte avec elle comme un père abusif avec ses enfants. C'est une idée qui, bien que n'existant que dans la tête de gens, a un pouvoir considérable et délétère sur le monde réel.
Mais dans la bataille entre moi et Dieu, je ne peux que gagner, car moi, j'existe vraiment.
Publié le 24 janvier 2019